L'ombre du sceptre by Gwendal CLAUDEL - HTML preview

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Chapitre VII

Une panse honnête

’est en usant la direction de sa piaule, à travers un cortège de mine mortifiées que Grinn la vit pour C la seconde fois. Cette petite blonde d’à peine dix ans d’âge, haute comme trois pommes et qui ne ferait point d’ombre à un poney Shetland. Il fendit la foule pour atteindre les environs de son profil pour pouvoir avoir une chance de capter son attention, ou du moins, être à portée d’oreille.

Une fois aux abords de son audition, il la héla.

— Eh toi !

— Hmm… ?

De ses grands yeux verts, elle fit écho à son appel.

Surprise d’être dérangée de la sorte, elle affichait un air brouillé. Néanmoins, sa confusion ne suffisait à mucher sa gaieté naturelle. Malgré la consternante nature du lendemain présagé, une candeur persistante se lisait sur son 129

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visage. Aussi fantasque que cela sonnait à l’ouïe de Grinn, les propos avilissant de Chef ne surent entacher la transparence de sa sincérité.

Emu par tant d’ingénuité, son instinct le pressait intimement à prendre sous son aile cette tendre innocente, ce morceau d’ange tombé des cimes. Ainsi convié à honorer cette vertu d’esprit au titre identique à celui de la prunelle de ses yeux, il se rallia à pareille fatalité.

Se rapprochant encore davantage de sa fraîchement élue « protégée », il s’exprima d’un ton enfantin pour ne pas l’effrayer.

— Petite, quel est ton nom ?

— Je chuis pas p’tite ! J’’ai huit ans ! Huit ans c’est l’âge des grands ! se révolta l’angelot en exposant bravement huit doigts vers le ciel.

Conscient que son ton eut offensé une princesse taille réduite désormais scandalisée, en un tour de main, Grinn remania son air. Face à une telle situation, seul le comique, pour qui le décelait, d’un art millénaire pouvait l’assister. Jouant le valet de chambre de ces pièces de théâtre dont il était tant épris, il se courba et pérora d’un ton grandiloquent.

— Mille excuses mademoiselle. Par quel nom, l’illustre dame que vous reflétez se fait-elle introduire ?

Moi et mon compagnon souhaiterions avec honneur nous entretenir avec votre Éminence.

— Humph… je préfère ceci. Mon nom est Suzy… Su-zy Vilar, quatrième fille de la maison Vilar !

— La maison Vilar dis-tu ??

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Elle opina véhément de la tête.

« La maison Vilar… alors comme ça c’est une famille de nobles… Mais que fait-elle alors dans ce trou à rat ? ». Méditatif, il se triturait le cerveau pour saisir la logique de son débarquement dans cette sombre communauté. « Pas étonnant dans ce cas qu’elle paraisse si détaché et… mais une petite minute… ».

Il allait s’enquérir sur ses liens de filiations lorsque le coup sec d’un claquement de fouet brisa l’entreprise.

— En rang les moutards ! Et que ça saute ! Je veux deux colonne… et des ordonnées ! tonna le contremaître qui lorgnait les « agneaux » d’un air qui ne présageait rien de bon pour ceux avivant sa furie.

Pat, qui depuis le début de l’extravagant jeu de scène de son ami observait en coulisse, s’impatienta. Les bras croisés, l’index qui martelait férocement le pan de sa tunique, le joyeux de la bande, abasourdi par le manège sans queue ni tête de Grinn, décréta venue le temps du sermon. « Rah c’lui là j’vous jure, toujours à enjôler la damsel en détresse ». Il lui prit donc sèchement le bras et l’emmena au loin.

Ne guignant les réprimandes des gradés, il le rabroua pour discutailler innocemment avec une gamine qu’ils ne connaissaient ni d’Ève ni d’Adam.

— Allez ramène t‘pomme imbécile ! J’ai vraiment pas envie que c’t’enfoiré s’acharne sur nous ! Mais qu’est 131

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c’qui te prend d’lui causer à c’te…mioche. Tiens d’ailleurs, c’pas celle de t’à l’heure ? T’étais bizarre quand les bleus surgirent, c’tait à cause d’elle ?

— …

— Me dis q’tu vas r’faire comme l’an dernier ? Tu sais… j’tai prévenu t’à l’heure. C’est simple, tu m’refais l’même cirque q’l’an passé, et je lèverai pas même le p’tit doigt pour te sortir d’ce pétrin… tu m’entends ?

— Compris… Je ferais plus d’erreurs de ce genre, mais…

— Pas d’mais ! Tu m’l’a dit t’à l’heure, à trop penser aux filles, on finira comme Timi ! augura Pat qui lui coupa la parole.

Ce fut au tour de Grinn d’être estomaqué par la conduite de son voisin. Soufflé par le dénouement formu-lé par son compère, il n’objecta point.

« Mais ça n’a absolument rien à voir triple andouille ! Comment peux-tu te montrer aussi illogique…

Quoique… Au fond, il n’aurait peut-être pas si tort le bougre. Existe-t-il même une divergence vénérable de citation entre séduire pour servir, et séduire pour con-quérir. Ravir le cœur de sa belle, ou bien le préserver des moindres tourments… voilà qui n’est en réalité que les deux facettes d’une pièce ».

Egaré dans une étude des liaison du cœur, Grinn se confina dans des recoins ésotériques de son esprit afin de démêler les intimes intrications assujétissant hommes et bêtes depuis la nuit des temps.

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Nonobstant le congé de réponse satisfaisant sur une thématique aussi épineuse que celle-ci, Grinn en ressortit grandit et débordant de fermeté. « Bon, cette fois-ci, il ne sera admis d’écart. Hors de question de revivre le cauchemar d’il y a quelques mois. Brr… quelle affaire ce fut que de tâter du fouet… Sans nulle controverse, pour rien dans cette vie je ne m’hasarderais à retenter le Diable…

pas même pour la plus exquise des risettes du royaume ! », jura-t-il tout à fait résigné.

Le regard de Grinn affichait en cette instance une sévérité semblable à celle des généraux sur le point de lancer l’offensive et de se ruer sur l’ennemi. Ses cheveux noirs de jais s’agitèrent doucement au gré du vent et resti-tuèrent une silhouette héroïque pour qui lambinait en queue de peloton.

Notant le brusque changement d’attitude de la part de son confrère, Pat acquiesça.

— Voilà qui est mieux, allez on les rattrape !

Ayant pris un poil de retard des suites d’une in-tense réflexion, la paire d’amis s’élança à la poursuite de leurs collègues dans ces allées parsemées de détritus en tous genres. Les deux colonnes charpentant ce cortège cheminèrent d’un bon pas, mis sur la voie par sire Chazon, ce gros bonnet qui n’aura point usurpé son pseudonyme.

Au fur et à mesure de l’avancée du défilé, les chaî-nons de la procession se retirèrent un à un. Les quelques six dizaines de « brigands ignorants », sans histoire, se 133

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réfugièrent dans l’apparente sécurité procurée par les quatre remparts de leur chambrée.

Finalement, après une courte promenade à peine suffisante pour se dégourdir les jambes, Pat et Grinn s’introduire dans leur piaule allouée, sous couvert pécunier bien entendu. Courbant l’échine à l’entrée en raison de poutres apparentes et particulièrement massives, les deux garçons se faufilèrent dans ce mince espace exigu. Si étriqué d’ailleurs qu’on ne prit la peine de les doter d’un compagnon de résidence. En outre, l’escalier escarpé pour pénétrer la piaule n’assista en rien la démarche.

A peine Pat eut-il parcouru une plumée d’enjambée que Grinn tempéra sa démarche.

— Stop…

— Bah quoi… qu’est c’q’ya ? quêta Pat inquisiteur ?

— Quelqu’un est venu en notre absence… Je ne sais qui mais… murmura-t-il sur ses gardes.

— T’es d’venu fou ma parole ! Qui donc viendrait jusqu’ici ? Et pour y trouver quoi ? On a rien d’valeur !

Enfin… avait… sourit-t-il tel un nigaud en palpant sa bourse insolemment potelée.

— Come à mon habitude, avant de mettre les voiles, j’avais disposé des brins de paille sur un lit de poussière pour m’assurer que personne ne s’immisce en douce…

— Ouais et ? Un courant d’air et pfiou ! plus rien !

proclama-t-il en faisant des grands signes de ses mains.

— Justement… notre dû nouvellement hérité ? Quelqu'un a peut-être vendu la mèche ?

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— Impossible ! Personne s’fait assez c’fiance pour en-treposer b’tement l’peu d’monnaie q’on gagne.

— T’as raison… Nul ne se risquerait à exposer ainsi un labeur si âprement traduit. Il doit fatalement y avoir autre chose….Et si… ??

Une effroyable pensée venait tout juste de lui traverser l’esprit. D’un seul bond, il se rua sur une planche aux rebords légèrement incurvés. En proie à un indicible désarroi, il souleva délicatement le morceau de bois sous lequel reposait son supplice.

A faible voix, il gémit piteusement dans l’espoir que ses tremblements étaient infondés.

— J’en implore à l’infinie mansuétude des saints d’Alanéa… faites que…

Peu à peu, les contours d’un parchemin se profilèrent aux yeux d’un adolescent reconnaissant.

— Eurêka ! Il est toujours là ! Et puis il semblerait que nul ne l’ai consulté. Ouf…

Le sceau écarlate était encore intacte. Le loup solitaire poursuivait férocement sa garde du rouleau de papier. L a nature indemne du rusé de cire garantissait la chasteté du parchemin. De fait, Grinn n’avait à craindre de potentiels coups de bâtons hérités d’une lecture inattendue. Soufflant un bon coup de soulagement, il le reposa avec toutes les précautions dues dans sa cache.

— Bon Pat, on fait quoi ? Si ça se trouve ces inconnus reviendront nous honorer d’une visite impromptue, peut-être dans une poignée de jours lors des jeux.

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A demi convaincu de l’irruption fortuite à laquelle adhère dur comme l’acier son associé, Pat soupira.

— On sait même pas si…

— Si par malchance, lors d’une exploration de fond en comble de la piaule ils déterrent notre trouvaille, sois assuré que le grassouillet nous règlera notre compte avec le sourire. S’ils apprennent qu’on tait l’existence d’un butin… Brrr… j’en frémis rien que d’y penser. Sans vau-drait-il mieux s’en soulager… ?

— Ils l’ont trouvé aujourd’hui oui ou non ? l’interpella Pat sans faire état de prologue.

— Euh… de quoi ? Ah.. non. Où veux-tu en venir ?

— C’est décidé… on le garde !

— Hein ??

En cet instant, il fit l’inusuel étalage d’une bravoure doublée d’un inébranlable engagement. Prodigieux pour un homme que l’intime ombre effrayait lorsque le ciel fermait ses paupières. La ferveur de son regard ne laissait nulle place au doute. Grinn, point encore au bout de ses surprises, était plus qu’estomaqué du brusque retour de veste de son ami.

— Ça fait belle lurette q’j’avais envie d’les faire tourner en bourrique ! Il m’énerve s’rieusement avec leur jeux à l’noix ! J’voulais les faire payer… le parch’min constitue un excellent début.

Ignorant de quel pied valser avec l’argumentation biscornue de son frère juré, avec désespoir, il se prit la tête entre ses frêles mains.

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« Mais il est complètement à l’ouest le type ! Un coup il me défend de parler à… Suzy, et il se permet de gager nos vies dans la foulée ! Des casse-cous jouant avec le sort, j’en ai étudié une tripotée, mais des pareils… jamais ! Il est complétement bipolaire le lascar !

Tout en jurant sur le caractère atypique de son luron favori, toujours est-il qu’avec le passage du temps, sa voix intérieure lui intimait de se rallier à la sotte inconscience amicale. Nullement intimidé par le mordant du brasier, il ébaucha un sourire diabolique à la rêverie d’un plan prêchant la dissidence.

« Pat touche juste. Qui ne peut se permettre de riposter au devant de pareils périls ? Ils veulent jouer ? Eh bah soyer assurés que le spectacle de ces intéressés vaudra le détour. Que le rideau de l’illustre scène se retroussent et que s’abat trois fois le marteau de la farce ! ».

Comme unis par les fils du destins, de concerts, ils éclatèrent tout deux d’un rire incontrôlable. Pendant de très longues minutes, ils se dilatèrent la rate au point leur subite hilarité fit trembler les panneaux d’ardoises maigrichons dont l’agencement laissait à désirer en matière d’harmonie structurelle. Cette incoercible allégresse ne s’éteignit que bien plus tard dans les soirée, égayant nuages et astres ballotés au gré des vents.

*

* *

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Quelques étages plus bas.

— En êtes vous certain Chef ? se récria un homme pas plus grand que certains des bleus débarqués.

— Pffu… Selon, mes calculs, une bonne moitié nous quittera au terme de l’excursion verte. Une moitié… 30

terrassés… Pour la gouverne des blanc-becs, cette mesure est absolument nécessaire. Attesta-t-il en insistant pesamment sur « absolument ».

— Ahem… Sans vouloir offenser, le statut de certains des recrues dépassait nos budgets initiaux. A cette dépense incon… éclairée, s’ajoutent les viris versés pour la nourriture de ces vauriens. Une poignée d’entre eux peine également à nous payer dans les temps… Cela dit, à l’inverse, le haut du panier, quant à lui … Eh… Eh…

ricana cet homme courtaud, tout en se frottant malicieu-sement ces épaisses mains velues.

Reprenant de sa contenance, son regard s’assombrit.

— Si comme vous l’assurez, à l’issue de ces deux semaines, une trentaine des affiliés au contingent laisse ses houseaux, j’ai bien peur que la trésorerie ne s’en remette jamais. N’est-ce point précipité que de sacrifier autant pour la célébration annuelle ? couina Gilles en s’épongeant le front d’un chiffon qu’il consignait soigneusement dans une invisible poche de son veston.

Se redressant nonchalamment de son siège, Chef le regarda droit dans les yeux et lui susurra mielleusement.

— Mon brave Gilles… mon loyal est fidèle argentier…

mon talentueux expert des finances à qui rien n’échappe… soyez sans craintes. Comme je me tanne à 138

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vous le confier, le tri de cette édition est ab-so-lu-ment né-ce-ssaire. Si l’écrémage des effectifs n’est à déplorer…

Cough ! Cough ! alors je ne sais dans quel but nous haras-sons-nous…. Faites en sorte, qu’importe les chemins empruntés, qu’aucun grain de sable ne vienne chahuter la marche du cortège des damnés. Il en va de l’avenir de notre guilde !

De cette allégation, s’échappa une volée de récusation des divers coins de la pièce confinée.

— De l’avenir Chef… ? Vous ne présumez tout de même pas que…

— Enfin…

— Voyons…

— J’en ai assez entendu ! Sortez d’ici vous autres si seule la soif d’argent et de prestige vous accapare ! Ce vieil homme n’a pas fini de voir le jour se lever ! Ne comptez point sur ma fin pour danser sur ma tombe ! les rabroua le cerveau de la dague colérique.

— Bien Monsieur, il sera fait comme vous l’ordonnez.

Nous tâcherons de remplir nos missions assignées.

S’inclina respectueusement un massif gaillard aux denses cicatrices sur la figure.

Quatre de ses congénères adoptèrent une posture similaire et se plièrent aux sommations d’un meneur désormais hors de lui. Ce fut donc une humble quintette d’aigrefins qui décampa sans lanterner. Ne se hâtant à la musarderie, cette modeste procession détala. Le remue-ménage de cette curieuse assemblée fut telle qu’il souleva 139

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une fine membrane de poussière, qui ne ménagea pas le moins du monde la quinte de toux d’un Chef méditatif.

Dédaignant l’inconfort du tumulte enduré, une substance bien plus pressante qu’une incommodante tousserie semblait l’embesogner. Veillant à ce qu’aucune oreille fureteuse ne s’immisce dans la séquence qui allait suivre, crûment il ordonna.

— Ombre…

Pour la seconde fois, sous d’opposés lueurs, un timbre identique au premier accrédita l’injonction.

— Quels sont vos instructions ?

— Qu’en est-il de la tâche que je t’ai assigné ?

— Comme vous me l’aviez ordonné je les ai suivis.

Les secondes s’égaillant, nul prolongement ne s’avisa.

— Et… ? s’enquerra Chef en tapotant militairement le bureau, de ce rythme dont il avait l’impénétrable secret.

Le manque de fioritures de ces hommes de l’ombre, pour taire l’évidence, pouvait dans de manifeste circonstances excéder Chef qui requérait d’eux davantage qu’un semblant de réponse à peine suffisant pour combler les audience avares de lettres. A moult reprises il tenta de leur inculquer les principes de la transmission étoffée, nécessaire au consciencieux lègue de quelconques renseignements, sans gloire ni lauriers. Les bougres eurent même l’outrecuidance de déployer le masque de l’irrité lors de pareilles morales.

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Platement, son interlocuteur lui conta dans de sommaires ornements les faits et gestes de la paire de coquins dont il avait la filature. Lésineux de particulaires littéraires, il s’exprima en échantillonnant son lexique d’une parcimonie inégalée.

— Rien constaté d’anomal. Après l’entrevue, allés voir Gilles qui donna récompense comme indiqué. Après, ils remontèrent dans leurs appartements et en ressortirent quinze minutes et trente-quatre secondes plus tard pour assister à la leçon du père Abbé.

— Hum, continue donc… marmonna Chef qui n’avait cure des ses bagatelles.

— Au coup de clairon, ils se dirigèrent vers la place pour l’exposition de la fête ; Enfin, comme le reste de la troupe, ils se fondèrent dans la masse pour rejoindre leurs quartiers pour s’y confiner pour de bon.

Chef, persuadé que la racaille qui logeait sous son toi s’appliquait à dérober de sa vue une essence de digne capital, enquêta avec élan.

— Et la fouille de la pièce ? Qu’a-t-elle donné ? Ces gamins planquèrent-t-ils un magot ?

— Rien… Simplement du foin et quelques tuniques sales bonnes à livrer aux flammes. Objecta froidement l’homme au visage dissimulé.

Pénétré de la cupidité de ses hommes, aussi crédules et godiches soient-ils, Chef décida de remettre cette étude aux griffes du lendemain. Exhalant laborieusement, il se renseigna une dernière fois sur le sort de ses graines de malandrins.

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— Bien… Et désormais que font-ils ?

— Ils rient.

— Ils rient ?

— Ils rient.

— Diable, comment peut-on avoir le culot de se désopiler en pareilles circonstances ?

— Je l’igno… entama l’homme que les ténèbres réfu-giaient.

— Qu’importe… ! Va ! trancha Chef à cran.

Un silence, témoin éloquent d’absence lui répondit.

De sa furtivité éclatante de retenue, l’ombre s’était éclip-sée. Dès lors orphelin de compagnie, Chef se massa péniblement les temps. Un tic capté afin d’essuyer les préoccupations d’une journée fécondes de misères.

Avant de tirer un trait définitif sur le spectacle en date, avant de se murer des heures durant dans ses quartiers, il accorda ses ultimes éclats de sagacités à un pli délivré aux aurores.

De noble touche, le cachet émanant de la missive portée exhumait un parfum singulier pour qui n’était point étranger à tant de raffinement. Naturellement, la coquette façade du billet suggérait le prestige des racines de son auteur. Nul doute qu’ici ce dernier se parait de fastueux atours.

Sous les pâles étincelles des cierges disposés ici et là, le visage buriné par les âges du dirigeant de l’organisation se dévoila. Harassé, il relut avec auguste impassibilité la lettre d’un certain duc de Busberry qui 142

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requérait son assistance pour un labeur d’une arrogante autorité.

*

* *

Quelques étages plus haut, à portée des étoiles et sous leur halo blafard, une discussion étouffé emplissait une pièce aux intimes dimensions.

— Eh Grinn, tu v’lais pas m’dire quelq’chose à prop-pos d’l’épreuve et des nouveaux ? demanda Pat de but en blanc après s’être rondement fendu la pêche.

Se défiant des ouïes malavisées, Grinn fit plusieurs fois le tour de la piaule pour s’assurer une bonne pour toute que nul interlocuteurs indésiré ne recueillait l’entretien en devenir.

D’un air rassénéré, il se tourna vers son compère et lui souffla à mi-voix. Rocambolesque qu’était le port audacieux de spéculations sans ambages.

— Bon, depuis quelques jours, t’as rien remarqué d’étrange à propos de toute cette histoire ?

— Bah… pas vraiment… t’as noté quoi ?

Visant la mine perplexe de son auditoire qui ne semblait point avoir dépisté l’ombre d’une épine au regard de la troublante succession d’évènements, Grinn fut prit de scepticisme. « Et si tout ceci n’était que pure fabulations ? Mes craintes seraient-elles infondées ? ».

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Puisque une amiable correspondance ne coûtait guère plus qu’un filet de salive, de bon cœur, Grinn déballa ses découvertes.

— Dans un premier temps, le timing de la fête est surprenant, voire carrément suspect…

Saisi par la confidence, Pat compléta le message délivré.

— C’est vrai qu’en y r’pensant elle aurait pas due tomber la semaine prochaine ?

Grinn opina et poursuivit son exposé.

— Exact, toutefois, un départ anticipé de l’examen n’est pas la seule bricole qui me chiffonne… De surcroît, sans être en mesure de l’accuser, j’ai ce vague pressentiment que la substance des épreuves, malgré l’affable préface de Chef, est bien plus perverses que les éditions antérieures… ne trouves-tu pas ?

— Euh… p’t’être…

Sans se laisser démonter par la cécité intellectuelle de son éternel luron, Grinn prolongea sa narration.

— D’aussi loin que les grands s’en souviennent, le Mont Suie est une première ! Jamais, depuis les guerres du royaume, n’avait été conduite une épreuve dans cette forêt maudite par les suppliciés. Ils en discutaient nerveusement entre eux durant le laïus de Chef. Ils sont également frappés par la singulière tournure empruntée.

— Sûr ? l’interrogea Pat qui pénétrait peu à peu les enjeux sous-jacents de cette traditionnelle célébration.

— Sûr. Affirma résolument Grinn.

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Pat médita quelques instants pour digérer le flux de renseignements divulgués. Une fois ce court laps de temps derrière eux, Grinn l’assaillit de nouveau.

— Depuis que Chef prit les rênes le on Suit est iné-dit… Et puis, pourquoi donc rameuter une telle quantité de bleus cette année ? Qu’est-ce qui les pousse à accepter autant de p’tits nouveaux ? Une guerre de clans couve-rait-elle dans les bas-fonds de la capitale ? Un remanie-ment dans la structure interne de la guilde s’opérerait ?

— Effectiv’ment… maint’nant q’t’en parles…

Gravement, Grinn toisa son partenaire et lui confia son épouvantable frisson.

— Néanmoins… le pire reste à venir…

— Pourquoi ça… ?

— A en croire les dires de Chef sur les maigres rations de nourriture pourvues, je peine à envisager une survie en bonne et due forme de tous ?

— Comment ça ??

— Et si le concept de l’édition se portait davantage sur le larcin ou le meurtre pour garantir le succès de l’épreuve ? Serait-ce le prétexte de rameuter pareille troupeau de bleus ? avança Grinn alarmé.

— Quand j’y r’pense, jusqu’à hier, les autres disaient qu’initialement une dizaine de bleus était attendue. Se remémora Pat en se grattant la tête.

— Une dizaine ?? Au bas mot, une vingtaine de misérables se présenta au bureau du meneur ! Raah.. ! Pourquoi rien de tout ça n’a de sens ! s’offusqua Grinn que l’enchevêtrement de manigances des gradés piquait.

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— Garblblbl…

— …

Au beau de milieu de l’échange, le ventre d’un Pat visiblement affamé gargouilla bruyamment. Ainsi rappe-lé à l’ordre par le chant de son estomac, Pat, interloqué, recouvra le sens de la réalité.

Tiraillé par la faim de toute évidence, ressassant la promesse de sire Chazon, il interpella son confrère.

— Eh Grin,, on était pas censé avoir d’la soupe c’soir ?

Il fait d’jà bien nuit là non ?

L’interrogé le regarda droit dans les yeux, et solennelle-ment lui prêta sa réplique.

— Pat… la fête des damnées… est d’ores et déjà amorcée…

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