

La première épreuve
l pesait tout à coup un épais et palpable silence. Pas un sifflement ne pervertissait l’immaculée du mu-I tisme qui s’installa à la dague. Pour cause, nul ne se hasardait à empoisonner de son souffle la taciturnité d’un lieu qui ne semblait apte à s’en défaire. En outre, pas un geste inopportun ne fut suggéré de la part de ces brins de fripouille, inerte, pétrifié de surprise ou d’abandon.
Pat et Grinn, penauds, se consultèrent du regard et d’un commun accord, gagnèrent la place centrale. Traînant un peu de la patte, Grinn ne manifestait nullement une quelconque inclination à recevoir le coup de fouet cinglant que délivrait cette éclatante de renommée « fête des damnés », éthéré festin des gradés.
Réjouissances ayant lieu de manière annuelle, cet évènement avait le curieux don de libérer les âmes si l’on croyait les dires de ses bâtisseurs.
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Lorsque les deux acolytes foulèrent le lieu de convergence, un attroupement s’était d’ores et déjà formé autour d’une sommaire estrade en hêtre, le bois commun de la région. Malgré le cachet rudimentaire de la plate-forme, l’on devinait tout de même l’esquisse d’huile de coude versée pour l’élancer. Un semblant de mise en scène fut préparé spécialement en cette occasion, voilà qui n’était point courant.
De son modeste promontoire, Chef surplombait la douzaine de frimousses encore marquées d’une prude naïveté. Il arborait guillerettement un sourire narquois, presque cruel. Attribut dont il était l’unique émissaire et bannière de son indiscutable autorité auprès de cette discrète, mais néanmoins froide communauté.
Son prestigieux surnom : « le terrible », suscitait tout autant l’effroi que la révérence chez ses pairs. Pour sûr, ses victimes, passés de vie à trépas de son implacable main, le paraient sans conteste de ce nom de théâtre !
Son œil scrutateur parcourait l’affluence nocturne, en quête de visages manquants. Patiemment, il fit le pied de grue afin que l’intégralité de la masse conviée puisse saisir la teneur de l’oral prochain.
Passées diverses minutes, le comité était tel qu’il était devenu ardu pour les convoqués de ne serait-ce que ravir une goulée d’air frais. Perdu dans pareille réunion, peine perdue que de sonder une mine amicale.
Près d’une soixantaine de recrues se trouvaient amassés dans cette brusque occasion. De jeunes têtes, 114
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voire très juvénile pour certains figuraient dans ce rassemblement. De légers chuchotements tirés de ces masques immatures retentirent au cœur de la manifesta-tion. Ces bleus s’agitèrent dans tous les sens et s’appliquèrent désespérément à déceler la source de cet appel remarquable de confusion.
Pour compléter le tableau, leurs aînés, avoisinant la vingtaine d’années et expérimentés du caractère soudain de l’instance et de son ascendance, exhibaient une expression moins déroutée.
« Même les petits nouveaux de cette année sont présents…. étrange… ». La fête des damnés, Pat et Grinn la connaissait bien. Tous les ans, lorsque la saison la plus torride de l’année battait son plein, était organisée par la haute hiérarchie de la guilde une série d’épreuves à la conception et à l’intrigue variés.
Les peu scrupuleux prétendront que ces peines ont pour vocation l’élection du jeune brigand de l’année. Les âmes ingénues goberont sans doute ces salades… mais point leurs prédécesseurs à qui cette affabulation ne fut que trop articulée.
Officieusement, pour les yeux alertes, la réalité était tout autre… La portée de ce concours fardait un obscur dessein. Que trop avérée, la disposition de l’examen renfermait un sérieux penchant pour la nuit éternelle. Selon Grinn, ces jeux macabres seraient plutôt destinés à écrémer l’organisation d’éléments peu prometteurs, ou à la contribution superfétatoire. Ce n’était donc point par le 115
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plus fortuit des hasards que l’arrivée des petits nouveaux coïncidait admirablement justement avec l’annonce d’un exercice futur.
Du point de vue de Grinn, ces jeux barbares sont d’autant plus risibles que l’identité des vainqueurs est fréquemment familière des esprits observateurs et prag-matiques… les grands. Forts de leur favorable muscula-ture et de leur expérience autrement plus fournie que leurs cadets, ces mauvais bougres qui n’avaient que le mérite d’être nés plus tôt, décrochaient le pactole et portaient en triomphe leur chimérique superbe. Ainsi par la ressource d’une ossature davantage étoffée, ces vétérans écrasaient de biens inexpérimentés camarades.
Pat visa du doigt les blêmes museaux des petits agneaux apeurés et consulta son partenaire.
— Eh Grinn, t’penses qu’il restera combien d’gamins d’troupeau c’t’année ?
— Bof… pas plus d’une dizaine, comme tous les ans…
— Si peu… ? Pffiou… tu dois s’doute avoir raison…
soupira Pat mortifié.
— …
Grinn se tut. Ses pensées dérivèrent sur la petite blondinette de tout à l’heure qui devait probablement s’interroger anxieusement sur l’inspiration de tout ce remue-ménage. « Une fois les festivités entamées, la retrou-verais-je saine et sauve ou bien… ne sera-t-elle qu’une énième victime de ce jeu orchestré par Chef et ses pourris d’acolytes ? Sa frêle dépouille viendra-t-elle se jucher sur la pile des disparus ? »
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La subite prise de parole de l’administrateur de ce raffut interrompit la sombre et funeste évasion de Grinn, qui se laissait emporter tout doucement dans un abîme de peine opaque charriant de tragiques courants.
— Bon les morveux, est-ce que vous savez pourquoi vous êtes rassemblés ici présent ?
De discrets hochements de tête lui répondirent ici et là. Dans cet océan d’incompréhension, spécialement cy-clopéen pour les inéprouvés, ceux-ci accusèrent une mine désarçonnée. Attitude à laquelle Chef n’était que peu inu-sité. Un schéma identique point pour point s’opérait invariablement. Seules les frimousses mutaient. Les émo-tions affichées, quant à elle, ne retournaient guère leur veston.
Toussant férocement entre les lignes de son texte, Chef leur dévoila le mobile de leur approche.
— Je vais pas y aller par… Cough ! Cough !... quatre chemins ! Dans une bonne paire de jours, préludera notre annuelle fête des damnés ! Cette période de réjouissances est… Cough ! Cough ! Cough !... sans conteste un évènement phare de notre guilde sacrée ! En effet, celle-ci appose les fondations d’une organisation, forte, intrépide, et bien sûr… inflexible ! En fin de compte, ces festivités en perspective seront l’occasion pour nos jeunes recrues fraîchement débarquées, de raffermir leur cœur guerrier et endurcir une humeur que je déplore candide. Compris les moutards ?
— Raffermir… endurcir… bafouillèrent tour à tour les bleus qui reluquaient hébétés un Chef tout sourire.
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Un frisson de stupéfaction gagna hâtivement les rangs des novices de ces sphères. Aussi abruptement que la dépêche fut confiée, la physionomie de chacun devint mêmement livide que les pimpants draps de la lavandière. C’était peu dire l’effarement !
Tous se fondirent dans les rangs de cette communauté avec la conviction d’un avenir épanoui, serein tout du moins. Conjecturant qu’embrasser l’entrée de l’orphelina Au logis de la pomme d’argent s’apparenterait à un toit robuste, une soupe journalière, et un départ printanier, les voilà si interloqués que les mots manquèrent pour manifester leur consternation.
Ainsi floués, leur naïveté piquée à vif, ces tendres esprits laissèrent échapper une volée de protestations étouffées. Ecœurés du frauduleux traitement réservé, se développa diligemment une sourde clameur.
Ce ballet des déçus, les aînés le regardait d’un air amorphe. Ne levant le petit doigt pour appuyer la vague rébellion de leurs benjamins, ils se réservèrent bien de s’exposer aux remontrances des éducateurs. Grinn, que trop conscient des ces injustices itératives sur l’existence de ces gamins tout juste sortis du ventre de leur défunte figure maternelle.
Le contremaître, situé également sur l’humble estrade, fouet en main, jugea les plaintes des mouflets inconsidérés et les réprima d’un féroce claquement.
— CLAC !! Fermez-la les moujingues ! Si j’entends encore vos insupportables jérémiades, ou qu’un de vos 118
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camarade a l’audace de respirer trop fort… vous savez ce qui vous attend ! rugit-il en caressant affectueusement son instrument disciplinaire.
De malingres corps frémirent sous la menace allusive du morceau de cuir. La seule audition de ce claquement reconnaissable parmi foule fut amplement suffisant pour commémorer les vestiges d’une larme versée. Combien d’âmes pures furent brisées par les sèches caresses d’une mèche durement éprouvée ?
Le contremaître, de surcroît, faisait état de zèle. Celui-là même qui forçait l’hommage, malgré la rustre teneur de la correction allouée. Celui-ci ne se limitait simplement pas par le ridicule rajout d’un ou deux coups de fouet par sentence déclamée, mais plutôt par une élection au coup de dés d’un martyr de son adoption.
Afin de blanchir son nom des impuretés glanées ici et là, le bras droit de Chef qui reçut carte blanche des mains de ce dernier, n’atermoyait pas le moins du moins et ne s’embarrassait pas de faux-fuyants. Il se récriait que le maintien de jeunots l’astreignait à lever délicatement la main sur eux et que c’était d’un cœur sémillant qu’il re-dressait les torts.
Dans le dessein de se soustraire de ce manège de cet esprit dégénéré, il était de notoriété publique qu’il valait mieux se tenir retiré des vagues aiguillant l’attention des gradés, et se faire aussi inaudible et insaisissable que la souris tapie dans la froide assurance de sa retraite. Quiconque passait outre le spectre invisible du contremaître, 119
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s’exposait à d’inavouables prolongements. Nul n’a encore onc séduit le talent du fanatique pour l’esthétique de son rictus.
Ruminant d’éprouvants souvenirs, Grinn se tâta certaines surfaces de son dos qui comportaient une série de menues bosses. Coupable d’insubordination, on le gratifia plantureusement d’une procession de Tels de curieux monticules à l’origine inexpliquée sur une plaine innocente, ainsi effleurés, ces plans bombés lui arrachè-rent un cru grincement.
« J’aurais sa peau… Croyez-moi… Un beau jour je lui ferais payer au centuple ce qu’il nous fit subir… Alors comme ça t’aimes le zèle mon gros ? Je le jure sur la tête de mes ancêtres que tu vas en baver quand il te reviendra en pleine figure ! ». Sans prévenir, sa figure autrefois joviale et charmant les mémoires de ces donzelles, s’emplit d’une haine féroce que rien ne semblait être à même d’estomper.
*
* *
I ci-bas, tous, incluant l’âne bâté, n’avaient point d’empathie pour cet individu aux pratiques véreuses.
Innombrables furent les cris stridents poussés lorsque le coquin s’acharnait comme un beau diable sur la tendre chair de ses collègues. Jadis naïfs et sincères de museau, ces printaniers persécutés ne fourniront plus qu’une trombine morne et dénuée de toutes preuves de vitalité.
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Fort heureusement, pour l’heure, les bleus du lot de cette année, n’eurent pas encore le digne privilège de goûter aux largesses de cet olibrius à l’estimé sens du prochain. Pour ce spécimen gidouillard, une telle recru-descence de sang-neuf n’augurait qu’une seule et unique affaire : l’arrivée au bercail de tous nouveaux jouets ! Seulement, il n’était que trop monnaie courante que lesdites babioles propriétés d’amusettes récréatives se fêlaient voire se réduisaient en miettes dans d’exaltés patoches.
Dans de telles occurrences, peu importait, le bougre ainsi dépouillé n’avait qu’à s’en dénicher un autre !
Ses yeux, enfoncés jusqu’aux orbites, se posèrent un à un sur les recrues, du jour, ou sans doute était-il plus juste de les qualifier de « chair fraîche » ou de « perspective de divertissement ».
Tout à coup, ceux-ci s’ancrèrent sur le profil d’une blondinette dont l’âge ne dépassait point la dizaine de printemps. Une curieuse expression se rendit maître de son obscène physionomie, qu’il s’empressa de camoufler du jugement de son patron. Il ne faudrait tout de même point pousser le vice au point que s’éventait à face découverte on péché mignon que tous abominaient. Avec évidence, Chef ne se débinait de l’impulsion générale, c’était dire l’indécence du subordonné !
La frimousse à l’ambré angélique, sous l’auscultation scrutatrice, tressailla. Souffrant d’une insi-dieuse présence sur sa modeste personne et désireuse de 121
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se délester de cet ennui aérien, elle jeta un coup d’œil aux abords de son atmosphère, sans succès. « Bah… une vilaine brise… », présuma-t-elle avant de reporter son obligeance à l’allocution de son « philanthrope bienfaiteur ».
Désireuse d’apprécier l’horizon réservé aux jeunes pousses de la guilde, tout comme d’autres, l’oreille tendue, elle buvait les paroles de cet illustre représentant, à la balance peu fatigué par le sort de son auditoire.
— Cough ! Cough ! Bon, cette année… la fête des damnés aura lieu de la manière suivante : vous braverez trois épreuves successives dont la nature fut adoptée pour leur caractère… charmant. Les détails de chacune vous seront révélés au travers d’une lettre isolément adressée, et communiqués successivement afin de conserver jusqu’à l’acte finale les faveurs du mystère. Finit-il avec une grimace sadique.
Se redressant crânement et jaugeant les manières de l’assemblée, il prolongea sa tirade.
— Bien… la première épreuve consiste en une banale excursion de dix jours et dix nuits dans les sylves…
— Les « sylves »… ? marmottèrent les embrumés.
Exhalant pesamment, Chef démystifia la lexie.
— La forêt troupe d’illettrés !
— Ah… c’est tout… ? ricanèrent certains, soulagés que la première épreuve en question s’avérait être tout bonnement du pain bénie
— Moi, la forêt j’vais depuis q’chuis tout p’tit ! Même en hiver ! Alors à moi la victoire ! jubila triomphante une jeune âme convaincue que la réussite serait sienne, 122
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compte tenue des commodes conditions régissant les sylves en ces denses chaleurs.
Le petit débrouillard qui venait de s’exprimer, du haut de ses onze maigres années d’existence, affichait un air sûr de lui. De bouclettes châtaigne encadraient un regard vif et un museau rieur. Son apparente jovialité déto-nait d’autant plus que le sujet du jour se parait d’une douce teinte de se son enfance. La nostalgie le serrant, ardu qu’était le vœu que de ravaler son assurance.
L’aplomb qui lui emboîtait le pas contamina si bien ses égaux qu’eux aussi, de leur mine allègre, se permirent de railler prétentieusement la sortie nature conspirée.
— Franchement, j’pensais q’ça allait être pire ! déclara surprise une franche voix.
— Hein quoi c’tout ? s’étonna son voisin de flanc.
D’analogues remarques se succédèrent et firent gonfler dans les rangs une brise de vaillance frôlant tout juste l’impudence. Cette hardiesse collective, amorcée de la gorge d’un effronté prit une fabuleuse ampleur qui combla un Chef badin.
Sans ambages, il s’escrima à annihiler jusqu’à la racine la désinvolture de cette ribambelle d’enfants.
— … dans la forêt du Mont Suie.
Cette annonce fit l’effet d’un coup de tonnerre parmi les rangs de la guilde ! Située sur toute l’aile sud-est des grandes terres d’Élia, cette dense et impénétrable forêt renfermait de bien sombres secrets et peu en ressortait 123
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indemne d’une expédition au cœur de cette terre hostile à l’homme. Inusitée qu’était pareille élection pour la tenue d’un examen battu et rebattu. Pour sûr, l’unilatéralisme du meneur avait encore frappé !
Même les grands, d’ordinaire impassible qu’importe l’étoffe de la traverse annuelle jurèrent comme des chiffonniers.
— L’Mont Suit c’pas c’lui où rien n’pousse ? questionna anxieusement une roussette à son affilié de chambrée ?
— Si ! Même que j’ai ouïe dire qu’on y trouvait davantage de squelettes que de d’animaux vivant ! lui répondit horrifié son confrère en se prenant la tête entre les mains.
Graduellement, un voile de frousse s’installa si viscéralement dans la masse qu’il y décrocha le point de non retour. Les cœurs intrépides, jadis pressés d’en découdre passèrent l’arme à gauche. Enserrés d’un innommable effroi, bien indisposés furent ces derniers à formuler le moindre souhait revanchard. Une bourrasque de panique emporta au loin les ruines d’un calme labile, et préluda la venue d’un chaos souverain.
Perché, Chef se délectait goulûment de la pagaille qui tourmentait la fringante jeunesse. Aux anges, il ne semblait s’offenser outre-mesure du saillant manque de discipline parmi les rangs des quelque uns qui constitue-ront le noyau dur de l’organisation. La zizanie présente-ment savourée lui arracha une ébauche d’allégresse.
« Rien de tel qu’un zeste de douleur pour attiser les cœur et apaiser la clameur… La question serait mainte-124
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nant d’identifier qui parmi eux sera le plus à même de dégeler ses instants primaire… ».
Constatant que la tension un poil retombée et que l’assemblée était disposée à recevoir de plus amples développements, d’un air satisfait, il se frotta les mains et continua son laïus.
— Comme je disais, dans quelques jours débutera officiellement ces réjouissances avec le lancement de la première de ce trio de tests. Un… Cough ! Cough ! baluchon, fourni de victuailles vous sera à chacun attribué, assez pour subvenir à vos besoins pour une poignée de jours.
Reluquant férocement les têtes de plus en pales de son auditoire, il leur articula une séquence d’interdit.
— Interdiction formelle de vous présenter avec des vivres supplémentaires le jour J ! Interdiction formelle de vous munir d’une arme blanche autre que la dague attri-buée le jour de votre arrivée. Interdiction formelle de…
Interdiction formelle de…
Dans un flot ininterrompu, se relayèrent une série de restrictions visant à assurer l’impartialité relative de l’examen, ainsi qu’a forcer le « mouvement » durant les dix jours qui composeront cette bien cruelle aventure.
L’ambition de Chef était de former un cadre im-perméables aux viles combines des participants. A combien de reprise, les organisateurs durent intervenir au beau milieu de rixes enfantines des suites d’une infraction nette du code du voleur. N’aspirant point à revivre 125
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cette harassante expérience indéfiniment, il mit au point une volée de réserve quant à la conduite, à l’équipement, aux relations et autres facteurs d’influence sur l’issue de l’épreuve.
Les toisant gravement, il énonça les risques encou-rus si d’aventure des plaisantins s’égayaient à les flatter.
— L’infraction de la moindre de ces proscriptions, que je vous déconseille fortement… vous exposera à de massives et navrantes sanctions. Lorsque je jugerais vos errements inappropriés, je suis résolu que je se saurais dé-busquer celui ou celle qui vous administrera ladite correction… certifia-t-il tout en jetant un coup d’œil com-plice au contremaître qui lui rendit la pareille en lui versant une discrète courbette.
Nul besoin de préciser que tous ici présents connaissaient pertinemment la fortune de l’oracle prédite, si le principe d’insubordination guidait leurs pas. En cette édition, les expérimentés avaient le sentiment que les quelques lignes de manœuvre serraient davantage qu’à l’accoutumée.
Ravalant péniblement sa salive, Pat s’adressa à un Grinn contemplatif.
— Psst, Grinn ! T’penses qu’on va survivre comment c’te forêt ? Au Mont Suie, rien n’pousse ! C’est désert là-bas !
— J’ai ma petite idée sur le sujet… mais je t’en parlerai ce soir, y’a un truc qui me chiffonne avec tout ça.
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— Ah ouais quoi ?
— Tout. Le timing, les épreuves, les nouveaux… J’ai le vague pressentiment que quelque chose de plus gros se trame dans le dos de notre traditionnelle fête des damnés.
Je n’arrive pas à mettre le doigt dessus… et ça m’insupporte ! s’emporta-t-il.
— Mais tu… ? commença Pat.
— Pas le temps, je t’ai dit que j’en parle…
Coupé net dans son élan, la solide voix de Sire Chazon l’interrompit.
— Allez les mioches, maintenant c’est chacun dans sa piaule ! On vous apportera de quoi souper ! Si vous êtes sages, il y aura une portion supplémentaire dans les bols de chacun.
— Oh non ! C’est pas vrai, ils vont pas encore recommencer ? bougonna Pat.
Tous les ans, la tradition exigeait que des suites de la tirade prononcée du meneur sur les festivités prochaines, soit instaurée une garde forcée dans les appartements attitrés. En effet, il était usuel qu’une poignée de jeunes pousses décidaient subitement de mettre les bouts et de s’exiler aussi loin que le protocole le quémandait.
Comment blâmer ces graines d’adolescents de dé-barrasser le plancher d’un lieu qui respirait tout compte fait la mort et la désolation ? Trahies, ces âmes obligeront l’auspice chez une entité étrangère aux larcins et aux meurtres de préférence. Avec raison, l’essence de voyous ne seyait à quiconque se drapant de la cape des truands.
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Afin de pallier à ce menu problème, Chef instaura une veille forcée dès l’extinction de son allocution et effective jusqu’au dénouement final. Cette méthode, bapti-sée drastique par les frondeurs, montra d’irrécusables avancées en matière de cantonnement.
Bien qu’il eut fallut claquer le fouet à de multiples reprises pour en faire savoir les attributs, force est de constater que la présence d’esprit de Chef fit miracle.
Sans stupéfaction, les perplexes tentèrent de passer outre l’ordonnance. Ces resquilleurs furent durement réprimandés et on n’entendit plus jamais parler d’eux au sujet de l’exécution d’une quelconque entourloupe.
Néanmoins, comme un docile troupeau d’agneau consentant à s’abandonner au crocs du loup, années après années, les successives troupes de jeunes gens se rendirent obligeamment dans les tréfonds d’une antre obscure.
La fête des damnés actuelle n’y faisait exception. En cette trépidante et curieuse édition, il portait à croire que la diligence impulse la cadence d’une caprice des gradés.
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