L'ombre du sceptre by Gwendal CLAUDEL - HTML preview

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Chapitre VIII

Une excursion grandeur nature

es suites d’une brève série de jours de cantonnement forcé, l’ordre l’achevant fut intimé. Sous un D soleil blotti derrière d’épais nuages, lorsque l’après-midi battait son plein et que tous se terraient dans les tréfonds des habitations pour s’y soustraire, Chef somma le rassemblement. D’une voix au combien sonore, il enjoignit les claquemurés à rallier sa position.

L’appel à la promenade prononcé réveilla la guilde de sa torpeur que le calme dictait. Durant cette quarantaine impulsée du plus éminent des gradés, nulle animation n’habitait la communauté, excepté le chant du coq qui dispensait aux cloîtrés un épisode musical des plus stridents.

Lassés de ces heures interminables escortées par l’étouffant brasier de ces canicules saisonnières, les jeunes gens assommés par l’ennui entrouvrirent mollement leurs 147

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paupières. Comme tirés d’un sommeil éternel que l’emprise pétrifiait, ainsi arrachés des griffes de la monotonie, les esprits candides s’exaltèrent.

De folâtres badinages clairsemèrent petit à petit une atmosphère qui se teinta des nuances de l’allégresse. Des cris de joie, d’ahurissement, de rage, et des pleurs nanti-rent le tableau de ses derniers coups de pinceau.

En ce jour singulier pour les damnés, le ciel était d’un gis de pierre. Ces plumes d’une blancheur innocente d’ordinaire, se paraient tout à coup d’une indécente impureté. Corrompues par les affres de ce monde, ces écharpes d’orage qui s’amoncelaient, ne présageaient que souffrance et turpitude.

Pourtant, sous cette même grisaille à soulever les cœurs lyriques, une plaisante troupe de bambins se tré-moussait follement et ne retenait son hilarité.

— Enfin libres !

— Youpi ! De l’air, de l’air !

— Génial, on va pouvoir s’balader !

Isolé de la vue de plus grand nombre, sous un frêle tilleul, ricanait avec dédain une poignée d’adolescents.

Louchant la naïve exhibition de leurs jeunes semblables, ils les raillèrent joliment.

— Quel bande de sots…. A croire qu’ils ont déjà oublié c’q’arrive quand on sort… cingla un individu au visage longiligne, presque efféminé.

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— Ouais t’as trop raison Cid ! rajoutèrent en chœur deux de ses compères affalés.

Cid, celui qui prit la parole le premier était le meneur d’un petit groupe de trois voyous. Ses subordonnés, l’un grassouillet et le second aux cheveux bruns, raides, et plus grand que son chef, possédaient un âge similaire.

Ce trio, notoire pour ces méfaits à répétition, le plus souvent causés pour laver un affront portant sur le visage gracieux du chef de la bande, avait bien sale réputation.

Toutes âmes candides s’instruisaient, communément à ses dépens, qu’égratigner l’égo de Cid, cible de moult quolibets, entraînait de vilaines représailles.

De sa voix nasillarde, Cid commanda ses deux lurons à se mettre en route.

— Allez venez les gars. On file avant q’le contremaître s’charge d’leur faire r’trouver l’sens des réalités.

— Eh, eh... On s’tire.

Juste comme cela, ils s’éclipsèrent. Pas un mot de plus ne fut rendu, pas une moquerie supplémentaire ne fut admonestée. Sans même rappeler à l’ordre ceux dont l’attitude frivole horripilait, ils s’esquivèrent.

Du coin de l’œil, Grinn surprit l’échappée de Cid et de ses sous-fifres.

— C’était la bande de Cid non ?

— Yep, ces sales raclures de… grogna Pat qui préféra taire sa conclusion.

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— Tu te souviens de l’an dernier ? Quand ils ont cassés les deux bras et jambes de Mat ? C’était tout de même pas un spectacle des plus poétiques…. Brr….

— Pauvre Mat, simplement pour avoir… il avait fait quoi d‘jà ?

— Comment tu ne t’en rappelles plus ? Il avait émis une curieuse hypothèse sur les origines de Cid et pourquoi son faciès tient tant à s’y méprendre à celui d’une…

— Ahahahah ! J’m’en souviens ! Face d’courtisane qu’il l’avait baptisé ! C’bon vieux Mat ! l’arrêta Pat qui se frappa hilare le genou de la main.

— Ouais… Tu l’as dit. Il s’en était pris à lui lors de la première épreuve…. Pendant une semaine ils laissèrent l’injure couler. Bien entendu, ils n’enterrèrent point la hache de guerre et lui brisèrent les membres un à un. Paraît qu’il a encore du mal à se mouvoir aujourd’hui ? Tu le savais ça ?

— Bah… tu sais moi la dernière fois q’j’lai vu c’tait y’a six mois… donc euh… se défendit Pat en haussa mollement les épaules.

— Pauvre Mat, il s’en est jamais remis, et comment !

En un claquement de doigts… ou d’os, sa vie a basculée du tout au tout… soupira Grinn qui revoyait une série d’images défiler retraçant l’horrible épisode.

— C’tannée, faut à tout prix qu’on les évite !

— Mmh… Difficile, la visibilité dans la forêt est clairement mauvaise, surtout depuis que les battues ont ces-sées. Je voudrais pas nous porter poisse, mais les chances 150

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de tomber nez-à-nez avec cette bande de brutes sur pattes sont assez amples.

— Ya plus qu’à croiser les rois !

— Les « doigts », Pat, les « doigts ». le corrigea Grinn.

— Ah…

— Tiens, en parlant de doigts regarde !

Pointant une direction de sa main tendue, il présenta à son compagnon un garçon avoisinant les dix-sept ans. Adossé contre un mur, en sa seule escorte, il tenait au creux de sa main une bille de plomb reliée à une chaî-nette en argent. La faisant osciller d’avant en arrière au gré de ses envies, le balancement de l’outil lui suffisait à tromper la psalmodie des secondes.

Lui, son surnom c’était « doigts de fée », puisqu’il ne connaissait nul égal dans l’art de crocheter des serrures. Qu’importe la ferronnerie mise en évidence, en un tour de main, il élucidera toujours son mécanisme, exposant ainsi les richesses abritées.

Pat, admiratif en avisant le portrait d’une de ses idoles, vanta les exploits de ce loup solitaire.

— T’sais qu’il paraît qu’il a d’jà ouvert un coffre avec une serrure à bosse ! Les yeux bandés en plus d’ça !

— Impressionnant, j’ai ouïe dire qu’elles sont coriaces.

— Même qu’il a pénétré par effraction dans la maisonnée d’un haut noble sans un bruit, dérobé un objet d’une grande valeur, et est r’parti d’où il était v’nu. Renchérit Pat au bord de l’hystérie.

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— On a pas à rougir de cet angle-ci. Répliqua Grinn.

Entièrement dévoué à cet aîné nonchalamment appuyé à un simple mur de pierre, Pat souffla béat.

— Aaaaah… Un voleur… un vrai… On lui demande d’faire équipe avec nous ?

— Reprends-toi ! Jamais de la vie il consentira à salir son nom du nôtre. Le prodigieux « doigts de fée » et Pat-et-Paf les gauches qui s’acoquinent… ? Quelle fable de mauvais goût. Jamais il ne s’accointa avec un de ses pairs, et je suis assuré que nous ne seront pas ceux qui lui feront retourner sa veste. Affirma Grinn.

— Qui n’tente rien n’a rien… s’hasarda Pat.

— Eh bien nous ne tenterons rien… point.

Au cœur de la dague, les bruits de couloirs chargeaient et s’élevaient à une vitesse effarante pour qui n’était instruit. A toute heure, une esclandre naissante menaçait quiconque sortait un mot de travers. Le tinta-marre des potins dépassait toujours grandement celui du fouet, qui vainement s’évertuait à les endiguer.

Les qu’en-dira-t-on étaient en outre des armes sans égales dans l’inévitable rixe contre l’ennui. Régulièrement les rangs des benjamins déploraient que trop l’exécrable épreuve de la langueur à laquelle tous furent sujets. De fait, l’essence même desdits bruits de couloir pesait peu dans la balance. L’estimable des rumeurs résidait dans sa capacité à délier les langues et navrer les heures.

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La thématique en date était celle sur la couleur du linge de corps de Chef, sujet particulièrement vibrant et palpitant, qui gratifiait les débats houleux d’allers et retours sporadiques. Une paire de bougres palabrait avec ardeur sur la croustillante affaire lorsque un son de cloche prorogea soudainement la colloque.

— Diling ! Diling ! Diling !

« L’ultime sommation avant la sanction… », spécula Grinn familier de ces schémas redondants. Indépendam-ment du contexte, le tintement du bronze matérialisait toujours l’avertissement final précédant la giffle administrée aux flâneurs. Sous le chantage d’une imminente et raide admonestation, les amis pressèrent le pas.

*

* *

Pour appuyer le carillon, une voix bourrue et hachée apostropha les mollasses.

— En rang les malpropres, et q’ça saute !

Au trot militaire, quatre files de quinze personnes exactement s’établirent par la consigne du chef de la communauté. Son ton tranchant comme la lame d’un ra-soir effilé au possible, défiait quiconque de s’opposer au jugement porté.

Ici la règle tacite exigeait que quatre colonnes d’individus se modelaient lorsque l’invitation émanait des gradés. Requête éclairée, ou vile lubie ? Nul n’émettait le caprice de s’en exiler. Qu’importe le peuple 153

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présent, ordre de Chef, quatre rangées et quatre seulement paraîtront.

Autrefois pareille discipline se dressait gauchement.

Cependant, à force de pratique, de persuasion et de moult coups de bâton, les graines d’adultes produisaient une attraction au calibre analogue à celui de la garde royale se pavanant lors de prétentieuses cérémonies .

Une fois la soumission éprouvée, le contremaître inventoria, d’une voix d’un monotone à tirer une larme aux pierres, les fragments clés de l’épreuve dont ils étaient entretenus. La convention motivait cet acte dénué d’une apparente clairvoyance.

Nonobstant la silhouette superfétatoire du mono-logue, avec justesse, ce dernier racolait les égards des crédules. En effet, bien que ces instructions artisanes de désespoir furent rengainées, tous accueillirent religieusement le discours pour y déceler une quelconque indication sur la marche à suivre, ou y dénicher une ligne au caractère remarquable.

Lors de ce laïus, comme promis, fut délivré un sac de victuailles à chacun. Naviguant entre les rangs, les aînés s’affairèrent. Dans le cas de Grinn, celui qui lui remit son dû était un quarantenaire à la mine fermé qui lui accorda un simple regard empli de condescendance avant de s’agiter auprès d’un autre.

« Tsss… Quelle morgue… attendez de recevoir la nouvelle de notre ascension… Bon ce baluchon qu’est ce qu’il renferme ? ».

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Assurément, qualifier ce « sac » comme tel serait une colossale injure aux formalistes. De ridicule stature, ce carré de tissu plié maladroitement, confinait de quoi combler un cabot pour de modestes soirées. Deux pommes tannées, une gourde d’eau cabossée de la tête au pieds et enfin deux fluets pains si desséchés qu’un ron-douillard se brisa une quenotte en les ferraillant hardiment.

Quelques murmures de protestation se haussèrent en réaction à cette affligeante et que trop insuffisante largesse. Malgré les revendications étranglées des petits êtres, rien n’enraya le cours aérien de la mèche de cuir.

— CLAC !

— Silence les mioches ! Vous respirerez c’qu’on vous dira de respirer, et vous vous bâfrerez avec c’qu’on vous dira d’croûter c’est clair ! tonna sire Chazon.

Aucune réponse ne jaillit de la troupe jadis protesta-taire. Tous baissèrent les yeux, dépités de l’âpre tournure de la mésaventure. Imprévu qu’était pareil rationnement.

Curieusement, les animaux de la basse-cour joignirent les galopins dans leur amer mutisme.

— C’est clair ? répéta le contremaître en haussa le ton.

Inclinant la figure plus bas que terre, chacun des soixante participants, avec désolation, exprima son approbation. L’échine courbée, Grinn s’interrogeait sur la structure des traverses suivantes.

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« Quel mouche piqua Chef ? Dans quel dessein se montre-t-il aussi déraisonné ? L’ambiance est ostensiblement contraire à celles desaffrontements antérieurs, dans quel intention ? »

De son côté, le sinistre contremaître, prenant son rôle très à cœur, s’empressait de paonner sa toute-puissance auprès du grand ponte.

— Je préfère ça… Et tenez les rangs, sinon… ? gronda-t-il en serrant des mains son jouet bien-aimé.

Malencontreusement pour lui, le ponte en question estimait davantage la chorégraphie des hirondelles aux hurlements éclatants de son subalterne. Le nez perdu dans le ballet de ces insaisissables oiseaux, dédaignant la procédure contée par son sous-fifre, il en manqua sa narration.

— J’préfère c’genre de comportement. N’osez pas tâter les limites de ma patience… Hum… Hum… Désormais, par groupe, vous grimperez dans une charrette.

Celles-ci vous attendent à l’entrée. Vous gard’rez cette organisation. J’veux pas qu’un plaisantin change d’file juste pour son bon plaisir, c’est clair ? Bon, en route !!!

Afin de sublimer sa tirade chargée d’un charisme tyrannique, il fit chanter son fouet. A croire qu’en louer la sonorité édifiait son unique aptitude.

Docilement, à pas comptés, les troupes de jeunes gens s’exécutèrent et se rendirent aux coordonnées indiquées par le pansu. Effectivement, quatre sommaires atte-156

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lages tirés chacun par un couple de bourriques gobant les mouches s’offrirent aux innocents.

En bois, de facture ordinaire, la structure du moyen de locomotion ne payait pas de mine. Les restrictions monétaires se sentaient jusque dans les opérations logis-tiques. Une toile tendue des plus rudimentaires camou-flait le contenu de ladite charrette.

Une noble âme s’essaya à la caresse de ces fidèles bêtes mais fut âprement réprimandée par un irascible voleur qui surprit son geste sincère. « La bonté n’est bonne q’pour les jobards et les princesses », qu’il cingla.

Qui aurai eu l’audace de braver pareil sermon ? Du moins pas la fillette qui se tenait la main endolorie une larme à l’œil. Son amie l’attira contre elle et lui prodigua de grossiers soins. Quelques pensées de réconfort et la voilà remise d’aplomb, du moins pour l’heure.

Prestement, trop d’ailleurs, les charrettes se chargèrent des frêles corps des participants. Garçons et filles s’entassèrent dans ces espaces exigus où le simple fait de se mouvoir d’avant en arrière leur était ardu.

Par la force des choses, une fraction des passagers se résigna à user de la position verticale pour loger dans la charrette. Le manque d’espace cruellement se ressentait dans les esprits des inéprouvés. Pour cause, ces attelages étaient conçus pour gîter quatre adultes de stature quelconque. Comprenez qu’arranger une quinzaine de ga-157

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mins, aussi freluquets soient-ils tenait davantage du miracle que de l’évidence.

Ainsi tassés comme des bêtes, dans un inconfort criard pour les plus mal lotis, la sommation du fameux départ fut lancée. En tête de file, Chef livra le coup de rêne qui symbolisa le prélude de cette mince, mais trépidante exode pour les bleus qui pour la plupart, n’apprécièrent que l’enceinte d’Almendra depuis leur venue en ce monde disgracieux.

Dans un premier temps, sous la masse pourvue, les animaux de traits montrèrent les dents. Toutefois, par la grâce de l’éloquence et de l’administration d’une volée d’offenses, les ânes butés obtempérèrent.

Fâcheusement, par la frigidité du hasard, Pat et Grinn se retrouvèrent isolé de la proximité du prochain.

Impuissant face à un destin morose et désormais étrangers à l’appui du fidèle, les inséparables ne purent s’affranchir en bonne et due forme d’une tension qui ne cessa de croître durant ces quatre jours de trajet.

*

* *

L’aspiration de l’opération, la forêt Mont Suie séparait le royaume de Sancris et celui de Voras, au sud donc.

Ce domaine frontalier admettait comme capitale la brillante cité de Millu, renommée pour ces vins d’exception.

D’une perspective purement surfacique, Sancris exhibait une bien piètre démonstration lorsque mesurée à l’empire 158

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de Voras. Toutefois les prouesses guerrières de l’humble fief, incita ses voisins à agir avec circonspection.

Au cours d’un interminable périple chaotique, ponctué de virages si serrés que les embarqués s’interrogèrent presque sur le caractère intentionnel de ces brusques changement de direction, chacun s’ennoblissait d’un maintien opalin. Les courbes empruntées furent telles, qu’une brochette de pérégrins rendait gauloisement tripes et boyaux. Parmi les indisposés, Pat, exécrant pareille navigation, avait bien pâle figure.

Les roues branlantes tressautaient au moindre cahot d’un chemin meurtri par les caprices des éléments. Nids de poules et ornières s’amoncelaient gaiement et malai-sée qu’était la tâche de déjouer leur écueil. L’agrément rendu en cette instance, différait sans détour de celui réservé aux membres de la cour.

Avec certitude, l’entretien des axes routiers pesait son pesant d’or dans les coffres de Sancris. Sans mention du pavage des allées de terre, la banale tenue en l’état des grands axes pavés existants captait la majorité des financement du secteur. Pour cette raison, le sentier ainsi foulé, par souci de ferraille, ne se vantait d’une mosaïque ro-cheuse. Au plus grand dam des entraînés, il fallut endurer l’inconsistance d’un cours bosselé.

Au milieu de ces montagnes, alors même que l’odyssée frôlait le glas de son premier chapitre, Grinn ne 159

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cessait de jurer en son for intérieur. « Parbleu, mais quand est-ce que nous arrivons ? Voilà bien quatre jours que nous sillonnons les étendues du royaume ! Pourquoi n’en voit-on point le bout ? Raah… et ces secousses me portent sur les nerf ! ».

Il jeta un regard à cette Suzy, qui par un curieux concours de circonstances, se retrouva dans la même atmosphère. Comme à son drôle de pli, esseulée dans son coin, elle paraissait enchantée de cette partie de campagne mystère.

Tournant précipitamment sa frimousse, elle croisa l’examen de Grinn et se fendit d’une banche risette aux quenottes admirablement disposées. Pris sur le fait, l’indiscret se détourna prestement de cette ingénue per-ception.

« Pfiou… mais qu’est-ce qui lui prend de feindre la joviale lorsque la disgrâce nous guette ? Un moindre faux pas et nous voilà terrassés sans que l’optimisme d’un lendemain échauffe nos âmes ? ».

Ahuri du toupet clamé, il se receuilla sur une étude détachée pour en étouffer l’offense. Dégainant son poignard, il en examina le profil.

Le froid de l’acier s’énoncait dans une indifférente superbe. La fine, presqu’accessoire lame de vingt centimètres, bien que meurtrie par les saisons, manifestait un clair mordant incisif. Son portrait gâté fut excusé au profit d’un acéré poignant.

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Des heures la veille durant, il s’acharna à lui rendre son honneur d’antan. Bien que la performance escomptée demeurait abstraite, la résultante accomodait. Dorénavant, le spectre des élus du métal ne se cantonnait plus exclusivement aux fils de bourse des dodus…

Au cours de cette incommodante croisière, la procession traversa maints villages et hameaux, dont la fragile et déserte bourgade de Milori. Ultime patelin avant les généreuses étendues des sylves maudites, la localité fut martyre de multiples larcins et crimes en tous genres.

Sans conteste, les charmants voisins du sud savaient y faire en matière d’hospitalité lorsque la mitoyenneté dispensait pareilles exactions.

Ces descentes à répétition contraignirent ces habitants de naguère à décamper et à charroyer leurs maigres possessions. Forcés de camper davantage dans les terres, les jours passants, l’espoir de loger à nouveau dans leurs humbles chaumières s’effaçait peu à peu au profit d’une mélancolie qui les enserrait tout entier.

Ce fut au cœur du bourg de Milori que le cortège tempéra sa marche. Dans une synchronicité déroutante, les cochers paralysèrent leur carriole respective.

Grandiloquent, Chef prit la parole sous les regards hagards des marmots se massant péniblement l’arrière-train, encore ankylosé de la rèche balade.

— Ok les microbes, la forêt est à deux kilomètres d’ici.

A compter de et instant, vous… Cough ! Cough !

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...bénéficiez de vingt minutes pour vous y rendre et vous y confiner pour une durée de dix jours précisément sinon...

Se passant un revers de manche sur le coin de sa bouche désormais humectée, il allongea son allocution.

— Durant l’entièreté du jeu, mes hommes postés en périphérie me tiendront informés de la situation. Je serais donc savant du moindre de vos halètement et cris de triomphe… Cough ! Cough ! A l’issue de cette fugace période, les survivants seront approchés par mes subalternes pour un retour en ce lieu.

Se remémorant brusquement d’une broutille affublée d’une remarquable importance, il leur conta sur le fil.

— Ah, suis-je sot… Quiconque brave les frontières de la forêt Mont Suie s’expose à la peine capitale… compris ?

Bien qu’il s’embarrassait à sonder les quelque soixante individus sur le point de se livre à de sordides affaires, nul disciple de sa lubie n’était dupe. Enquêter le suffrage des gradés, s’apparentait davantage à une courbette aux spectres des damnés, qu’à une médiocre étude mue par l’appétit intellectuel.

Se raclant laborieusement la gorge, il scanda ce que tous appréhendait muettement.

— Bien… Que s’ébauche la fête des damnés !

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