L'ombre du sceptre by Gwendal CLAUDEL - HTML preview

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Chapitre XI

Escapade au ruisseau

ne heure plus tard ses emplettes achevées, elle ordonna à un serviteur traînant dans les parages, U de disposer, de la plus consciencieuse des mesures, les victuailles accommodées spécialement pour l’occasion. Littéralement foudroyé de stupéfaction de fri-coter avec la princesse en chair et en os, l’homme de peine vasouilla gauchement.

Maintes fois Sérina due redresser ses écarts afin que la précieuse marchandise ne finisse sa course dans les étroits escaliers de la maisonnée. Fréquemment, ses join-tures blanchirent d’une incartade pauvrement accusée.

Qu’elle n’aurait été sa déconvenue si le dur labeur des cuistots gonflait les cochons des basse-cours à la bedaine d’ores et déjà distendue.

Ainsi, veillant amoureusement à ne point brusquer le chargement de ces imposantes malles, la demoiselle 216

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mit un point d’honneur à chaperonner la curieuse procession, quitte à ce que soit sursis l’heure du grand départ.

Une fois pénétrée de la sûreté de son bien irrempla-çable, Sérina s’en alla retrouver son amie qui, selon ses estimations, approchait de la clôture de ses préparatifs.

Effectivement, au centre de la grande cour, sous la monumentale statue du souverain en date, le roi Maxi-mus Julius Vergon, une frêle créature, par de grands gestes graciés ici et là, s’affairait vivement. Ponctuant ses mimiques d’interjections adressés aux gens de maison, la rouquine vitaminé s’ingéniait habilement à coordonner l’équipage de leur prochaine expédition.

Dans ce flot de domestiques aménageant la virée brusquée, Mélusine, la rousse en question, identifia d’harmonieux traits alignés nulle part ailleurs que sur le portrait de la destinée du royaume de Sancris.

Le nez fin et délicat, les yeux d’un azur absurde, et une crinière argenté pour le moins peu commune, pareille physionomie ne pouvait qu’être commanditée par l’onirique du divin.

Envieuse du masque d’une joliesse éthérée de sa dame, Mélusine la hucha.

— Ah enfin te voici, tu en auras mis du temps sacrée chipie !

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— Ahem… un léger contretemps enraya mon avancée. S’excusa Sérina, un poil honteuse du motif du délai engendré.

— Bah ça ne fait rien.. Ah tiens, regarde j’ai même convaincu Polichon de nous accompagner ! triompha Mélusine, assurément enhardie par ce tour de force.

Un vieux rosse au poil hirsute campait voûté au milieu des autres bêtes. Une nuée de mouches, bourdon-nant à visage découvert le nantissait d’un désobligeant ballet aérien. Le chic de la bête de somme répugnait quiconque s’éternisait sur son appréciation.

Le train disgracieux de la bestiole détonnait d’autant plus parmi les montures d’argent finement ap-prêtées pour l’odyssée. Dressés comme d’augustes piquets, les défenseurs du cortège se couvrait d’une sévérité qui subjuguait. La mine dure, une main sur la bride de l’étalon et l’autre robustement placée à la garde de l’épée, ces hommes de fer patientaient impassibles.

Nullement renseignée de l’enveloppe solennelle de la minute, toute enjouée, la princesse gagna la pauvre haridelle et lui pépia innocemment de saugrenues propos tout en lui tendant une carotte récupérée en cuisine..

— Mais ça ne serait pas mon Polichon à moi… ? Bah alors on avait envie de prendre l’ait ? Hein… ? Hein… ?

Je ne t’entend pas, parle plus fort…

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Pour les inaccoutumés, rocambolesque qu’était tel divertissement. Qu’une dame de « ce » statut se livre à des activités de « ce » calibre, si jamais pareille narration fuyait l’enceinte royale, nul n’était assuré qu’irréfragable soit le charme prêtée à la petite reine.

La carne à la robe grisonnante hennit vigoureuse-ment, transporté de distinguer parmi la foule le minois de sa maîtresse. La piétaille et les cavaliers pressés autour de lui l’oppressait quelque peu, et il menaçait de cabrer à tout instant. Fort heureusement, l’irruption de Sérina rompit l’angoisse l’accablant.

D’une dextérité épatante, Sérina enfourcha Polichon. A la manière des hommes montant sur leur monture, faisant fi des conventions en vigueur, la princesse un tantinet rebelle progressa superbement.

Le chef de la Garde, bilieux de se parer du veston du coupable si la protégée du roi venait à flatter la cruau-té d’un sort tragique, tenta de l’en dissuader.

— Mademoiselle, vous ne comptez tout de même vous exposer ainsi… et l’étiquette ? Qu’en est-il de son respect ? Et puis… juchée comme ceci nous serons bien désemparés si l’infortune colore l’itinéraire.

— Phile, je ne veux rien savoir, je désire chevaucher ainsi, à l’amble de mon élection ! rouscailla la minette ronchonne.

« Et puis le carrosse, sans parler de ces nuances de mauvais goût, est bigrement inconfortable avec le relief 219

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accidenté et ces bosses si nombreuses qu’on se fendrait le crâne à les citer toutes ».

Contraint de coucher sur table son ultime atout, le vétéran lui imposa ses conditions.

— Votre père, avant que ne soit scellée l’escorte, m‘a prévenu que dans l’hypothèse d’une conduite déplaisante et séditieuse, les pleins pouvoirs me seraient conférés.

Ainsi, au gré de mes caprices, je puis vous confiner dans vos quartiers.

— Que… marmotta Sérina, trop estomaquée pour dé-peindre son déplaisir.

— Vous m’en voyez peiné, mais vous ne me laissez pas le choix… précisa-t-il véritablement peiné.

S’arrêtant quelques instants, l’adolescente pesa le pour et le contre d’une farfelue foucade. Elle fronça ombrageusement les sourcils de manière répétée et ne semblait se résoudre à se plier aux règles imposés par le paternel. Puis, à la délibération, descendant du canasson, elle se rembrunit.

Contrarié au possible d’accommoder la lubie de son père pour son illusoire sûreté, tapant sauvagement du pied, elle fulmina.

— Raaaah ! Celui-là je vous jure ! Mais quand donc me fichera-t-il la paix ?! Serait-ce trop exiger de sa modeste personne que de me lâcher la grappe cinq minutes ?

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Perçant l’occasion en or pour se jouer davantage d’une âme déjà nerveuse d’impatience, Mélusine n’hésita point à rajoute de l’huile sur le feu et renchérit donc de plus belle.

— Tu sais Séré, lorsque vous serez mari…

— Silence avec ces sottises d’épousailles ! invectiva la cible de la raillerie que la nature exacerbait.

Sur ces cordiales paroles, elle se planqua rageusement dans le menu carrosse versicolore en compagnie de sa confidente, à la risette charmant l’oreille.

Bien aise tout de même de l’effet de son admonestation, le chef de la Garde lança l’ordre de l’expédition.

Comme un seul homme, la troupe se mit finalement en route. Dans une procession rondement ordonnée de la pointe jusqu’à la queue, tous s’activèrent pour ne tempérer le pas du convoi.

En tête de file, Phile et ses frères d’armes les plus dévoués ouvraient la marche. Le serpent d’acier que for-mait le cortège, s’étendait jusqu’au centre de l’équipage, cerclant ainsi la résidence princière.

A la traîne, potinant allégrement, une brochette de filles d’Ève, triées sur le volet bâillonnaient les arrières.

Dames et domestiques composait le derrière de la cohorte, sans pour autant se métisser. Une démarcation nette et sans bavures scindait les deux comités.

La singulière cérémonie traversa prestement la cour, le pont-levis abaissé en l’occasion et pénétra au 221

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cœur du district du roi. En cours de route, ils passèrent devant un groupe de femmes au lavoir, qui, les poing sur les hanches se demandait bien ce qui se passait de si important à la citadelle pour que la Garde rapprochée du monarque harnache ses destriers.

L’une d’elle, devinant les traits d’un soldat ami, hé-la le familier.

— Nanard, Qu’est-ce qui s’passe ? C’est quoi tout c’raffut ? La p’tiote sort d’son trou ou quoi ?

Se voûtant, à voix basse il lui confia sa lumière.

— Tu ne fais pas si bien dire, la p’tite princesse prend congé du palais…

— Pour sûr ?! s’exclama fortement la bonne femme que le saisissement écarquilla les yeux.

— Assurément, ordre de sa Majesté. Lui qui interdi-sait à sa propre fille la moindre incartade, voilà qui est bien saugrenue… ironisa l’homme de fer que la virée arrangée au pied levé enchantait.

D’une muette courbette, il prit lui aussi congé et rejoignit le troupeau bardé de fer. Reprenant son poste, il taquina un de ses camarade sur le port maladroit de sa cotte de mailles. Chahutant drôlement durant tout le périple, la colonne à l’éclatant reflet fendit de par en part la cité d’Almendra.

La procession transita par le poste est menant au district du Long Pic, en passant par le quartier de la rivière soyeuse. S’enchaînèrent les étals de marchands, autrement plus animés qu’à l’accoutumée. A croire que les 222

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fortes chaleurs ne décourageaient nullement les marchands d’appâter le chaland et d’écouler leur stock avant les basses saisons.

Au passage du défilé dans ces étroites allées pavés au tracé sinueux, la Garde assumait le rôle de l’éclaireur.

Partant en reconnaissance, les cuirassiers éclaircissaient la voie et attestaient de la confiance du lieu afin d’épargner tout écueil à la princesse.

Bien que les artères principales ne constituaient pas grand embarras, les couloirs tortueux, eux, élaboraient une toute autre affaire. De certitude, ces rues coupe-gorges n’exemptaient aucunement ceux qui les foulant d’un guet apens fomenté par de sanguinaires organisa-tions.

Indiscutablement, pour les petites gens, les raisons de maudire la royauté et ses membres ne tarissaient point et s’entassaient même les unes après les autres au gré des rondes du soleil.

En dépit de la qualité inopinée du bref séjour en dehors de ces hautes murailles, le danger demeurait palpable pour les itinérants. Par conséquent, les soldats af-fectés, pour la plupart conscients des enjeux, démon-traient peu de négligence et inspectaient précautionneusement les environs, à l’affût du moindre signe suspect.

« S’il lui arrive mésaventure, aussi mineure soit-elle, je finirai infailliblement mes jours au bout d’une corde », conjectura Phile, plus préoccupé que tous sur le sort de celle qu’il entrevoyait comme sa première bambine.

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Toutefois, malgré le régiment à la mine patibulaire et armé jusqu’aux dents, intimidant les plus menus, certains ne bronchaient devant cette virile démonstration.

Au travers des allées bloquées, les téméraires glissaient quelques coups d’œil furtifs, avant de s’éclipser une fois découverts.

L’unique éclat qu’ils emportaient dans leur fuite était celui d’un carrosse bariolé aux tons vifs oscillant co-cassement. Pareille étincelle détonnait grandement avec la superbe militaire qui fièrement s’ordonnait. Comme une cible nue d’encoches qui se morfondait du lâcher de l’empennage, la voiture, elle, s’attendrissait du contraste rapporté.

*

* *

Quelques heures plus tôt.

Au loin, un fin cataclop d’une cavale feutrée réson-nait dans les ruelles de la cite d’Almendra. Puis, des quatre fers, dans un discret fracas, quatre charrettes péniblement tirées par de fourbues bêtes de somme freinèrent leur progression. Les robes des roussins voilée d’une nappe de pluie fumaient en cette fraîche matinée.

De retour à la dague, les dix-huit survivants d la première épreuve rentrèrent en grognant. Exténués tant moralement que physiquement pour la plupart, s’extirper du « riche » carrosse leur demandait un effort conséquent. Le développement sanglant des caprices du des-224

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tin traumatisa bigrement les printaniers de la troupe.

Sous des airs de dur à cuire se dérobaient de modestes adolescents simplement dépassés part la tournure de cette glaçante tragédie.

— Bien les gosses, dans quelques jours on r’met ça !

tonitrua le contremaître, plus fanatique que jamais de ces intimes frairies.

Se frottant les mains et furetant les regards mornes en quête de reconnaissance, d’une voix radoucie, de sa perspective tout du moins, il leur relata la prolongation de l’épisode.

— Incessamment sous peu, par l’bais d’une lettre, vous s’ra présenté le cont’nu du second examen que je pressens palpitant… ! Eh, eh… J’en suis l’illustre comptable après tout…

Sur cette noble jactance, il se courba devant son em-ployeur qui transmit les consignes de queue de discours.

— Pour l’heure, jeunes gens, rejoignez diligemment vos quartiers et reposez-vous ! Cough… ! Cough… ! Je perçois à vos grimaces et tenues à quel point les jours derniers furent rudes pour chacun. Il serait donc sage de panser vos blessures et de vous apprêter pour la suite.

Pour ne contester outre mesure la remarquable autorité charrié par cet individu au casque poivre et sel, tous obtempérèrent. Ce fut donc dans un mouvement sans tambours ni trompettes que les uns et les autres renouèrent avec leurs tanières respectives.

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Avant que la bande des échinés ne se morcelle, Raf et Cid, simultanément jugèrent hargneusement le trio composé de Pat, Grinn, et de la nouvelle recrue, Suzy.

Menaçant, Raf accosta Grinn et présagea le pire pour ce dernier.

— Rrrik thffu… Souviens t’en Grinn, tu va m’le payer un jour ou l’autre… l’sang coulera sois certain…

Etonnamment moqueur, sans se démonter, le meneur du trio lui rétorqua sèchement.

— Ça marche Raf, tu sais où me trouver non ? Je suis ton homme à l’heure et au lieu de ton choix…

— Un « homme »… grommela-t-il avant de tourner les talons et de gagner la harde de Cid.

Dans une alcôve dissimulée à la vue des flâneurs, Béa, le sourire aux lèvres épiait les quelques adolescents pugnaces se prêtant à de saugrenues intimidations. « Ces idiots, se livrer à de telles espiègleries… ». Sur ce, elle s’esquiva subrepticement avant de jeter une œillade amu-sée à la petite blonde postée aux flancs du blanc-bec au soigné cacochyme.

Dorénavant, l’écrasante majorité des dortoirs de la guilde était vide. Les occupants d’un temps d’antan tirèrent une plate révérence et se couchèrent sans même happer dans leur indéfectible repos leur prude héritage.

En ces heures de raout d’exception, seulement le quart des couchettes disponibles accueillaient le tiède caractère de ces jeunes gens en proie à une obéissance 226

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excédant tout entendement. Par conséquent, au plus grand dam de la guilde, les recettes générés par le toit

« miséricordieusement légué » baissaient drastiquement !

Quelle fâcheuse édition ce fut pour Gilles-le-riche qui, terrassé, louchait les folles cabrioles de ses mignards.

Confinés dans leurs piaules, rattrapé par l’étouffante fièvre caniculaire qui bâillonnait la capitale depuis fort longtemps, Pat et Grinn, haletant lourdement, tâtonnèrent quant à faire fi de l’injonction de là-haut.

— T’penses q’c’est une bonne idée ? s’inquiéta Pat, soucieux des éventuelles retombées de la manœuvre.

— Bien sûr que non gros bêta, mais on va pas rester sous les combles à cuire comme des poulets rôtis si ?

s’offusqua Grinn que la frénésie estivale importunait.

— Ah… Et on va où alors ?

— A la rivière non ? Par cette fournaise qu’est notre quotidien , je ne vois pas meilleure alternative ! se réjouit Grinn, empressé d’y piquer une tête.

— Mais laquelle ? Dis, pas la vieille ? Pas plus tôt que t’à l’heure, j’ai aperçu un truc bizarre flotter…

— Non, on opte pour celle des nobles, je connais un coin sympa appprécié de moi seul.

— Ah ouais, quel genre de coin ? réagit Pat que la vantardise de son ami distançait parfois ouvertement les frontières de la logique.

— Une source… une vrai de vrai… avec une sublime cascade, du fretin… le rêve en été quoi !

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— Mouais… j’demande à voir tout d’même… déclara Pat d’ores et déjà pénétré du caractère hâbleur de l’orateur.

Lucide que son compère d’hier et d’aujourd’hui ne prêtait que peu de foi à ses « gauloiseries », Grinn, tenta malgré tout de lui faire entendre raison.

— Tsss… Mais si je t’assure, je n’oserais galéjer à ce sujet… sous le couvert de la nuit je m’y suis rendu à maints reprises à l’époque.

— Bien… Si tu l’dis, j’ai pas trop l’choix que t’croire !

Hahaha ! se gaussa-t-il en se levant lestement et gratifiant son voisin d’un franc et nitescent sourire.

Rassuré du crédit reconnu, Grinn s’ébaudit.

— T’es partant ? Formidable… plus qu’à prévenir Su-zy et on s’esbigne séance tenante !

A la mention du blason du tendron, Pat se renfrogna.

— Ah ce propos…

— Mmmh… ?

— Grinn… oublie-la. Soupira Pat las du cirque récité.

— Qui ? Suzy… ? Je sais que tu es contre ami… mais elle a personne pour elle dans ce monde… et puis…

commença Grinn, oscillant entre confier son expérience de jeunesse ou s’entêter à l’interner.

— Et puis ?

— … Non rien laisse tomber. Souffla Grinn soumis à omettre cette trace de son passé à son compagnon.

A cet instant, la figure de Pat refléta une pointe d’ennui. Il fronça nerveusement les sourcils et se passa 228

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une main dans ses boucles brunes au branchage dispersé.

Bien évidemment, ne désirant l’ostension de son embarras, il le mussa à-grand-peine.

Grinn, source du mal jaugé, devina sans peine la laborieuse combine de son camarade pour masquer sa contrariété. Toutefois, bilieux de raviner le plancher de leur amitié, il ne creusa davantage l’intrigue.

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