L'ombre du sceptre by Gwendal CLAUDEL - HTML preview

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Chapitre X

Virée d’été

e retour au bivouac où les membres de la maisonnée étaient de faction, Pat et Grinn flattèrent D l’horizon. Placidement, seize trombines s’ordonnançaient piètrement. Les nuitées rabattues dans ces environs inhospitaliers marquèrent indéniablement les âmes et les peaux.

Parmi ces crayeux museaux, figuraient bien évidemment celui de Cid et de ses acolytes, à la différence que s’ajoutait sur le leur un subtil air narquois. Se gaussant des déboires coulés par autrui, eux jouirent d’une balade pas moins bucolique que celles charriées de ces dames dont on louait l’aisance.

Pointant du doigt une blondinette toute menue et à la contenance égarée, Cid satirisa.

— Regardez-moi c’te mioche, un peu plus et elle s’fait dans ses chausses !

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Tous tournèrent la tête afin de constater par eux-mêmes les dires de ce sacripant qui ressentait toujours cette irritable manie d’en amplifier le cachet.

Effectivement, une fluette créature, à la mine apeu-rée et titubant à la manière d'un matelot éméché, tenait fermement un poignard de ses mains délicates. Tout aussi crasseuse que ses congénères, son habit canonisait faiblement une ingénuité déchue. Méconnaissable en raison d’aléas disgracieux, elle s’affichait bien tristement.

L’iris émeraude et la faible stature tirèrent un son de cloche à Grinn qui soudainement s’offusqua. « Su-zy… ! ». Comptant en avoir le cœur net, il s’approcha. Au travers de ce masque épais de boue, il devina la compagnie de mèches d’or. Malgré l’indélicatesse exhibée, il la reconnut. Honteux de ne point accuser son profil plus tôt, il pressa le pas pour la réconforter.

— Hey, Sull… Mademoiselle Suzy, comment vous portez-vous ? s’enquerra-t-il en tâchant à ne point la piquer trop farouchement de sa transe.

Sursautant, la maigrichonne, toujours agrippant avec conviction sa lame, revint à elle. Levant misérablement ses yeux qui se voilaient d’une nappe de brume, sa réaction prit tous les badauds de court. Sans crier gare, elle se jeta dans les bras d’un Grinn médusé.

Pleurant à chaudes larmes, elle épancha sa peine.

— Ouuuuuin !!

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Désemparé, Grinn tenta de la consoler en lui tapotant sa petite tête autrefois blonde. « Comme cela a dû être rude pour elle… seule dans les bois… sans personne sur qui compter… à la merci du premier venu… ».

Se remémorant les quelques phrases de réconfort soufflée le jour du départ, il murmura poliment.

— Tout va bien se passer tu verras. Tout va bien se passer. Je suis l…

Inhabile à décider son enseignement, il s’abstint de tout autre éclaircissement.

Après une salve de minutes, notant que la chétive espiègle s’était sensiblement radoucie, il se risqua à lui dédier une articulation.

— Petite, où sont tes compagnons ?

Dans une lenteur infinie, elle hissa son navrant minois. Vides de caractères ses yeux jadis pétillants et bavards d’entrain, n’offrirent plus qu’un spectacle désolé.

Une terne morosité se dégageait désormais de sa frimousse que les anges d’antan courtisèrent.

De pierre, elle ne pipa mot. Grinn réitéra son appel, de nouveau sans riposte. Néanmoins, l’unique contrecoup du sifflet fut la prise toujours plus catégorique du fin coutelas enclavé.

« Elle doit encore être sous le choc. La pauvre….

Misère de misère… Qu’est-ce qu’il ne faudrait pas exiger aux bambins de cette âge. Les responsables paieront… ! », décréta Grinn outré des honneurs cédés au tendron.

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Bravant l’opaque mutisme, une pomme à la main, il s’élança.

— Tu as faim ? Tiens prend ça.

Et il lui tendit charitablement le fruit sacré d’Éden.

Brusquement, une surface dormante s’éveilla. Pressée tel l’éclair, une main à la détente foudroyante s’empara du fuit incliné avec fureur.

Prestement, elle n’en fit qu’une bouchée. Pas même le trognon, d’ordinaire catapulté, ne fut dispensé du châtiment accordé. Une fois la ration goulûment ingurgité, elle se lécha avidement les doigts pour ne égarer ne serait-ce qu’une once de l’offrande déposée.

Pistant le jeu de l’altruiste, elle présenta mollement sa patte pour que soit réitérée l’intrigue. Pareille manège se répéta trois fois avant que la besace admette quelques réticences.

Dorénavant prédisposée à la conversation, elle allait jaboter lorsque la rêche intonation du chef retentit.

— Allez les moutards, on rentre au bercail !

— On attend pas les autres ? quêta un jeune garçon prévenant de treize ans, bilieux de n’apercevoir les traits de son amie.

— Les « autres » ? Quels « autres » ? Tout l’monde est là gamin. Rétorqua le contremaître imperturbable.

— Mais… Mais… bégaya le tourmenté.

— Chuis sûr q’mon amie s’est égarée… tenta-il laborieusement de plaider sa cause, qui ne donna bien évidemment suite.

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Après avoir forcé le malheureux à ravaler crûment sa langue, Chef, contenant sa toux de plus en plus virulente, somma la retraite.

— En route… et que les mollassons se… Cough !

Cough ! urgent de remonter à bord !

« Dix-huit survivants seulement… mazette ! Nous étions une soixantaine et nous voilà misérablement réduits à trois demi-douzaine de concurrents encore en lice… Crédiou ! Ce chiffre dépasse de peu mes estimations, mais tout de même… quel désastre ».

Grinn parcourut placidement les frimousses de ceux qui bravèrent dignement cette épreuve qu’une poignée nommaient « la traverse du diable ». Sans coup de théâtre, Béa, doigts-de-fée, Cid et sa bande d’acolytes se flattèrent des lauriers du miraculé. Aux côtés de Béa, une fillette aux boucles sombres tremblotait faiblement.

Assis sur un rocher Mit et trois de ses camarades, l’air contrit, jugeait flegmatiquement les mines des rescapé. De l’autre côté, un groupe de cinq jeunots, composés exclusivement de membres de sexe masculin, calquaient leur façade à la troupe du petit favori.

Quarante-deux pertes, voilà le revers accusé par une entité en proie à une sibylline animation. Avec les deux tiers des effectifs ayant subitement pris congés, la dague signa sa fête des damnés la plus meurtrière. Pour 197

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couronner le tout, ce prodige fut conclut au crépuscule du premier exercice !

« Les agréments de cette année se profilent émi-nemment sanglants… », songea amèrement Grinn qui grimpa agilement dans une des carrioles arrangées. Se hissant dans celle de son choix, quel ne fut point son saisissement de constater l’ample largesse du moyen de locomotion.

Désormais exubérante de sièges, Pat, Grinn et Suzy n’eurent à pâtir du fourmillement de naguère, seulement la timide présence d’une paire de jouvenceaux aux traits tout aussi tirés.

Ainsi, à cinq répartis dans la « spacieuse » charrette, ils rejoignirent les sentiers d’Almendra. Paradoxalement, ce repère d’écorcheurs, théâtre de maintes d’atrocités que certains qualifiaient de foyer, tirait à Grinn une fluette langueur. Pantois d’une telle levée, il l’ignora et se focali-sa sur la tiède existence qui l’épaulait.

Blottie contre son flanc, éreintée au possible, la fillette barbouillée roupillait allégrement. Tournant le dos aux incessants cahots de ces chemins égarés, sa mine bien aisée suffisait à témoigner de la profondeur de sa léthar-gie.

Témoin de cet écart de politesse, Pat ne déguisa son mécontentement de la voir bouffir les rangs.

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— Grinn, c’est d’la folie ! Elle est bien trop jeune pour rejoindre la bande ! Un jour ou l’autre elle va…osa-t-il sans achever le blâme.

— Ca ne coûte rien d’essayer. Le pacifia Grinn en lui intimant de baisser le ton.

— Justement, si… nos vies ! J’sais pas pour toi, mais moi j’y tiens ! grommela-t-il en se retournant pour dégoter un instant d’hibernation.

— …

Dans ces situations, mieux valait ne point broncher et garder enterrées les étincelles d’intelligence. Pat, tout aussi buté que son compagnon, était de revêche négocia-tion lorsqu’esquinté par les brimades de la réalité.

De fait, Grinn lui administra un repos dont il eut emporté l’honnêteté. Malgré sa philanthropie latitudi-naire, comme au pli des derniers jours, l’assoupissement ne frappa. Indifférent du pernicieux traitement infligé, il se résigna à arpenter les heures tardives de la nuit plutôt qu’à les enjamber.

Se laissant aller au gré des brumeuses déformations de l’horizon, sa raison dériva. « Des pins, si élancés qu’ils en égratignent le ciel, nous toisent à la manière de Chef sur sa courte estrade. Que nous subsistions ou gageons le tribut, cette trempe d’individualité n’en a cure… ».

Un discret courant d’air, le ramena brusquement à l’impuissance d’un certitude. Frissonnant alors de tout son être, il rapatria ses genoux contre sa poitrine. « Fort 199

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heureusement, elle a survécu. Beaucoup n’eurent sa veine… si l’on peut la définir comme telle… ».

D’une caresse machinale, il taquina ses boucles ambrées. Que trop piqué par la placide retenue phonique du lieu, contrastant avec l’étouffante chaleur et la cacophonie d’il y avait tout juste dix jours, il n’osa s’en détacher. « Si seulement je pouvais… m’enfin nous aviserons… ».

*

* *

Château d’Almendra, tour de l’aile nord, quatre jours plus tard.

— Votre Altesse, que faisons-nous avec les troupes stationnées à l’Est ?demanda anxieusement un conseiller.

— Nulle peine de les rameuter à la citadelle. Laissez-les aux confins du royaume. Un grondement de colère aérien ne saurait requérir la présence de nos garnisons disposées ici et là.

— M’enfin, tout de même, l’indiscipline des nobles et de la populace de dépérit point et…

— Bon sang de bois ! A combien de reprises dois-je vous le clamer ? Notre priorité reste et restera la sauve-garde de nos frontières quelles qu’elles soient ! tonna-t-il en frappant la table du poing.

Encourant la furie de son monarque, timidement, le conseiller revint à la charge.

— Et en ce qui concerne l’insécurité publique qui plane sur notre cité depuis plusieurs mois ?

Roucoulant, le souverain objecta.

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— Mon brave Sime… Tout comme moi vous savez fort bien que l’insécurité dont vous nous faites part ne date pas d’hier. De tous temps ces contrées furent en proie à de sinistres déconvenues. Des bras de fer politiques s’enchaînent, des guerres sont déplorées, et nos citoyens en pâtissent… ainsi se porte le cycle de notre histoire.

Le Sime en question, doyen de l’assemblée et responsable des affaires internes au palais ne se laissa pas embobiner par l’élocution lourde de sens du maître de ces lieux.

Les âges, attendrissant son cœur et blanchissant son casque, le motivèrent à se démener pour le renfort de la veuve et de l’orphelin. Depuis lors, il s’acquittait au mieux de sa tâche à laquelle il consacrait jours et nuits : préserver l’ordre établi et garantir du mieux de sa fonction le confort des citoyens de la couronne.

Se heurtant au ton condescendant du souverain, sans se démonter, il exposa à son auditoire une dépêche et en conta la teneur.

— Selon le rapport d’un de mes envoyés, plusieurs établissements notoires prétendraient n’être que de simples et intègres structures, mais abriteraient en réalité de biens sordides activités. Mon attaché se trouve sur la piste d’un asile de pupilles et…

— Sime, assez ! A chaque jour suffit sa peine voulez-vous. Cessez donc de vous faire de la bile pour ces vétilles. Le stoppa dans son élan le roi Vergon.

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Excédé de ces tables rondes s’éternisant, le royal dirigeant légua ses ultimes prières.

— Maintenez simplement nos bataillons aux frontières pour ne susciter l’impudence des contrées voisines.

— Il en sera fait selon votre bon plaisir votre Eminence. S’inclina respectueusement un conseiller à la moustache blonde.

— Bien vous pouvez disposer vous autres. Manda le roi en se massant les tempes.

Une guillerette débandade accueillit les saluts du souverain, et tous se pressèrent de s’extirper de l’autorité de cette salle exiguë qui sentait vivement le renfermé.

L’aîné des ainés, s’apprêtant à quitter lui-aussi la pièce et à laisser seul l’impétueux suprême avec ses plans militaires, de nouveau, fut importuné dans sa démarche.

— Ah tiens, doyen Sime, une dernière petite chose.

— Oui votre Altesse ? articulat-t-il hésitant.

Craignant avoir froissé son supérieur d’une ferveur mal encouragée, le vénérable vieillard fit volte-face et s’offrit malgré son appréhension.

— Si je ne m’abuse vous avez de votre temps instruit votre fille des arts de la vie en société ?

— Ahem… Eh bien… C’est exact votre Majesté, j’ai effectivement bénéficié de cet honneur. Répondit-il tout bonnement dérouté de l’abrupt de la question posé, lui qui était plutôt davantage versé dans l’art de la stratégie guerrière.

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— Fut un âge où de splendides noces en sa révérence poignaient n’est-il point ?

— Certes, certes… ânonna l’interrogé incertain de la sente empruntée.

— Fort bien, fort bien… et comment vous amnistiez-vous d’une regrettable méprise ?

De plus en plus défait par l’extravagant interroga-toire de son seigneur qui usuellement n’amenait onc sur le tapis cette variété d’énigmes, il donna tout de même satisfaction.

— En lui octroyant un droit jadis privé.

— Intéressant… murmura-t-il contemplatif tout en se frottant négligemment le menton duquel pointaient quelques épis rebelles.

— Autre chose votre Eminence ? le sonda le doyen.

— Non Sime, je vous en sais gré, vous pouvez dés à présent disposer. Le notifia le monarque en balayant son assistance d’un revers de la main.

Sans se faire prier, graciant son souverain d’une preste courbette, il tourna les tallons, salua les gardes, et s’esquiva de cet individu au singulier tempérament en cette banale journée. « Diable, quelle mouche piqua la couronne ? », ne s’empêchait-il de maronner perplexe.

Sur le chemin du retour, grommelant dans sa barbe, le doyen Sime médisait le fanatisme royal envers ses maudites lisières qui n’engendrèrent que calvaires et désolation. Se désolant du triste sort qui narguait les innocents, il gambergea sur son prochain entretien avec celui 203

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à qu’il jura loyauté afin de l’entretenir de ces pressantes affaires.

L’autocrate, en sa qualité de parent, se devait d’expier son péché envers sa propre chair. Fort pensif, il scruta les moulures du plafond en quête d’inspiration.

Méditatif, il pesa les pours et les contre de chacune de ses démonstrations. Même hors de ses lisières, le cercle ar-mait ses porteurs d’une circonspection sans bornes.

Soudain, d’un seul mouvement, il saisit sa plume et se mit à composer frénétiquement sur un fin parchemin.

L’extrémité de l’instrument grattait bruyamment le papier et traçait les contours d’un jugement cultivé.

Une fois la rédaction achevée, rudement, il apostropha un traîneur de sabre de faction.

— Que l’on porte sur-le-champ ce billet à la princesse ma fille !

*

* *

— Raaaah ! Je ne puis toujours point le croire ! Comment osa-t-il ! Moi, sa propre fille… son sang ! se plaignit Sérina courroucée.

Effectuant les cent pas dans sa modeste demeure, elle contait sa déconvenue à sa meilleure amie, Mélusine.

Rousse, svelte, , et charmante, voici-là les traits qui défi-nissaient cette jeune femme à la mielleuse compagnie.

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Avenante et d'une gaieté folâtre, Sérina applaudissait à tout rompre son escorte.

La flanquant depuis sa plus tendre enfance, Mélusine Creutiloli, ou Mel de son surnom, hébergea notam-ment la peine de sa camarade lorsque sonna l’ultime hommage pour les deux princes. Néanmoins, le glas du disparu marqua l’avènement d’une estime pourvue. Assurément, cet épisode marqua un tournant majeur dans la relation choyée et entérina l’accointance privilégiée.

Seulement, en cette date, la dame à la crinière de flammes n’endurait sans mot dire les incessantes jérémiade de sa maîtresse.

Ayant nullement l’intention de s’abstenir de tout commentaire sur les manières de la prochaine régente, Mélusine, d’une langue acerbe, publia superbement son impression.

— Voyons Séré, demain marquera le vingt-quatrième jour de tes sempiternelles récriminations… Certes la décision de ton père est sèche, mais tout de même… il doit avoir ses raisons tu ne penses pas ?

— Des « raisons » ? Tu parles de « raisons » ! Depuis tout temps, la seule babiole à laquelle il attache un tant soit peu d’importance est la pleine satisfaction des ramifi-cations de la cour ! pesta la princesse furibonde.

— Ne fais point la forte tête, tu sais pertinemment que ces vautours lui lient les pieds et les poings…

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— Ah ! Ca c’est la meilleure ! Qu’il s’aventure à les trancher ces fameux « liens ». Lui reprocha l’adolescente que la furie gâtait le bon sens.

Irritée de ces geigneries de petite fille, Mélusine jugea qu’était venue le temps d’inverser la tendance de cette assommante palabre.

— Ahem… J’ai ouïe dire que le prince Albert était remarquablement versé dans l’éloquence littéraire et que ses hauts faits boutent les bandits de grands chemins hors de ces derniers.

Glissant une œillade à la jouvencelle échauffée, elle peau-fina le sarcasme.

— Si je ne m’abuse, n’importe quelle demoiselle serait aux anges de se présenter à son bras…

— Tu ne vas pas t’y mettre toi aussi ?! se hérissa Sérina en montrant les griffes.

— En y accordant un tant soit peu de réflexion, cet Albert de Millu ne serait peut-être pas un si vilain parti…

lui susurra-t-elle à l’oreille d’un ton doucereux.

Parfaitement renseignée de la ruade soulevée par son allusion auprès de la fille du roi, Mélusine, impitoyablement, s’acharnait sur une trouée dans la carapace de son amie.

« Depuis ce fameux jour, elle n’a de cesse de me rabattre sa poisse. Des jours durant je l’ai soutenue dans sa peine… mais trop c’est trop ! Aujourd’hui… que sonnent les clairons de insurrection ! ».

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Toutefois, la seule protestation qui se dégagea la pris totalement au dépourvu. Egarée dans ses frivoles machinations, inopinée fut la correspondance d’un tra-versin réceptionné en pleine figure. Paf !

Sonnée par la répartie on ne peut plus belliqueuse de sa dame, elle bafouilla.

— Mais … Mais…

Craignant que le caractère désobligeant de sa pique sur un sujet des plus houleux pour cette âme sensible froisse, prise de remords, elle songea à faire amende honorable. Toutefois, sur le chemin de présentation de sincères et plates excuses, le sourire narquois de sa meilleure amie l’enjoignit à harponner un polochon sur le lit à baldaquin et à riposter pour de bon !

— Tu perds rien pour attendre ma pauvre ! Prépare-toi à déguster ! la prévient-elle tout en s’esclaffant et chargeant vaillamment.

S’ensuivit alors une guillerette échauffourée entre deux demoiselles aux statuts contrastants. Cette rixe sans merci, mettant en jeu la dignités de ces nobles esprits, était une des rares du genre. En effet, par nature, pareille écart s’en trouve indigne pour un être du rang de la future régente .

Ce fut donc dans un décor chargé de plumes vo-lantes et de rires captivants pour les passants, qu’un garde, sans les notifier de sa présence, pénétra.

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S’engouffrant en toute hâte dans l’alvéole princière, quelle ne fut point sa stupéfaction de rapporter le chaos administrant l’atmosphère de cette grandiose chambrette.

Une délicate pluie immaculée s’abattait légèrement sur des moquettes qui ne montraient le moindre signe d’humidité. Au compte-gouttes, ces ingénus rameaux graciaient les badauds d’une chorégraphie orchestrée des mains du mystère.

Dans une inconsidérée paresse, ces nuages trébuchants dégringolaient pour s’écraser une poignée de mètres en contrebas. Leur orgueil piqué par le poids de leur légèreté, les entraînait toujours davantage vers un plongeon duquel nul ne se relevait.

Ces panaches ivoirien, au toucher velouté, dou-chaient le garde d’une cascade d’indulgence. Ce dernier, s’imaginant une jouvencelle en furie, fut hautement dé-stabilisé par la sauvage séance de ces jeunes femmes.

Néanmoins, ses longues et fières années de services lui rendirent une contenance seyante aux aguerris. Ainsi d’une voix inflexible, il augura son arrivée.

— Mademoiselle, un courrier de sa Majesté en personne. Pardonnez cette intrusion, mais il m’a expressé-ment mandé de vous la remettre en personne.

Il clama son adresse en soulignant la nécessité de son irruption à la servante renfrognée dont le visage cal-quait l’expression que Sérina arborait tantôt.

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Les poings contre les flancs, la gouvernante ne cachait sa désapprobation envers ces « frustes bon qu’à lever un bout de métal », qu’elle baragouinait une bouteille à la main. Elle s’évertua furieusement à bloquer l’entrée à ce grossier personnage qui n’avait de cesse de lui rabâ-cher le cachet impérieux de la bafouille.

De son côté, elle rétorquait que se glisser dans l’antre d’une jeune fille sans son aval revenait à violer son intimité. Et pour une citoyenne du statut de Sérina, la prêche était d’autant plus manifeste.

Dans cette prise de bec, ils faillirent en venir aux mains jusqu’à ce qu’un coup d’épaule volontaire vienne enfoncer la porte et prendre la femme de chambre de court par la même occasion.

La princesse, ayant abruptement perdu le goût de s’exercer à la mention de son paternel se récria.

— Qu’est ce qu’il me veut ce rabat-joie ?

— …

— Roooh faut vraiment tout faire dans ce palais…

ronchonna-t-elle avant d’arracher coléreusement la dépêche des mains du garde qui retrouvait une image anti-cipée de la petite souveraine autoritaire.

En arrière-plan, se délectant avec un aise non dissimulé, Mélusine pouffa. Elle plaça maladroitement une main sur ses lèvres afin de contenir l’humeur désopilante de cette burlesque saynète.

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Recueillie sur ce morceau de papier dans lequel résidait tout son appel, à contrecœur, elle en parcourut le contenu. En regard de l’identité de l’auteur du billet, à plusieurs reprises elle délibéra soigneusement sur la lecture ou non de ces lignes d’encres.

Cependant, malgré ses populeuses réticences, elle dénuda les faveurs recelés par l’épistole. De fait, son re-chignement auparavant exposé se mua graduellement en une euphorie publiée.

— Mel ! Mel ! On va à la rivière ! On va se baigner !

exulta-t-elle en bondissant au plafond comme le faisaient les sauterelles des grands prés.

Interpellée par le volte-face émotionnel opéré par sa camarade, Mélusine caressa l’espoir d’en survoler la substance.

— Hein ? Fais voir ! Fais-voir !

La poigne tremblante au vu de la signature apposée aux fondations du courrier, elle effleura du doigts le grain du papier. Fébrile, les yeux de la rousse toison aus-cultèrent les délicates courbes semées de royaux coups de poignets.

Ma très chère fille,

Je suis conscient de porter les tons criards du coquin depuis notre dernier entretien. J’ai ouïe dire que la teneur de celui-ci, de nature 210

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impromptue à tes oreilles, t’est source d’un inconsolable chagrin. En ma qualité de père, telle occurence est impardonnable et tu m’en trouves effroyablement peiné.

Afin d’apaiser la sourde culpabilité de ton vieux roi, consentirais-tu à prendre congé du château et à employer l’éclat de la rivière des nobles pour te rafraîchir ?

Bien évidemment, une seule après-midi t’es accordé, et sous escorte armée. J’espère que tu ne m’en tiendras point rigueur, mais une indiscutable vigilance est de mise.

Ton pendant, Mel, dont j’ai cru longuement entendre le bien est libre de rallier ta virée. Une après-midi, pas plus.

Amuse-toi bien

Ton père qui te chérit plus que tu l’oses l’imaginer Mélusine, sondant diligemment la matière manus-crite, poussa de discrets cris de joie lorsqu’elle surprit l’évocation de son nom de théâtre au chapitre la concernant. Pareille instance était peu plausible pour des citoyens de modestes rang.

« Même le monarque en personne m’a remarqué !

Vite, il faut que je l’annonce à Maman ! Quelle ne serait pas sa commotion ! », se réjouissait-elle, impatiente de dispenser à autrui l’affriolante nouvelle.

Relevant la risette qui naquit sur le profil de sa confidente, Sérina jubila.

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— Vite Mel ! On part sur-le-champ avant qu’il change d’avis ! Nous n’avons que l’après-midi et l’entame de celui-ci approche à grands pas !

— … Hein ? Que… ?

Prise au dépourvue par l’enthousiasme témoigné, l’espiègle rouquine ne savait où donner de la tête.

De l’autre côté de la pièce, Sérina s’affairait énergé-tiquement à rassembler un nécessaire de voyage. Brosses, épingles, ombrelles, éventails tape-à-l’œil, souliers au souple toucher, autant de babioles qui voltigeaient à travers la loge princière.

Une fois un semblant d’indispensable amassé, Sérina alpagua sa voisine.

— Mél, peux-tu te charger de convoquer les servantes et autres dames qui se mêleront à l’excursion ?

— Bien reçu et…

— Malheur ! Sauf celle de lavoir ! Je me suis crêpé le chignon avec la semaine dernière ! Je crois qu’elle rous-pète encore au sujet de mon tempérament de mal brossée… trancha la princesse qui ne souhaitait s’assortir de la présence d’un bonnet de nuit.

« Quelle surprise… voilà bien l’unique spécimen qui raisonne de la sorte », songea Mélusine un brin rail-leuse. Assurément, que les pleurnicheries d’un cousin entame les fondations d’une affabilité atavique.

— Et toi ? demanda l’espiègle au visage amusé.

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— Eh… Eh… Je m’occupe des en-cas. Gazouilla-t-elle en se pourléchant les babines, comportement ne seyant à une figure de son rang.

Sachant pertinemment que la gourmandise de Sérina était sacrée, malgré sa taille de guêpe, Mélusine ob-tempéra diligemment. Trop surexcitée de la virée riveraine, elle ne s’offusqua pas le moins du monde de la conduite impérieuse de son amie.

Justement ce revirement de maintien la ravissait au plus haut point et mit un terme aux intarissables giries.

Le roi Vergon qui détenait la fâcheuse manie de couver excessivement sa fille, desserra enfin la bride.

Pour sûr, le pauvre homme se rongeait les sangs lorsque sa fille unique ne disposait pas à chaque instant d’une Garde armée prête à la flanquer. Ainsi, par sa défiance envers l’inconnu, l’intégrité physique de sa chair tout du moins, était assuré.

Dans un fiévreux transport, Sérina s’activa à figno-ler les préparatifs de l’escapade entendue.

— On se retrouve dans une heure devant la statue de la cour centrale

— Yep ! Je préviens le beau monde et direction la rivière d’argent ! répliqua Mélusine avant de file à toute hâte remplir sa mission.

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En un éclair, l’adolescente à la couronne se rendit aux cuisines du palis, région de tous les incontournables délices. « Ah… qu’il fait si bon de se sentir accueillie… », rêvassa-t-elle en inhalant à pleins poumons les effluves au combien odorantes s’évadant du lieu.

Faisans grillés et juteux jusqu’à l’os, herbes aroma-tiques fraîchement cueillies, légumes de saisons cultivés des mains de jardiniers prévenants, pains dorés tout juste sorties du four en pierre ronflant bruyamment, breuvages aux arômes aussi fins et raffinés que les peuples et tribus de légende, dont les prouesses en matière d’élégance demeuraient inégalées.

En quelques mot, autant de plaisirs olfactifs allégrement présentés qui ne demandaient qu’à être follement empoignés et cupidement dégustés.

L’adolescente à la chevelure mercure, salivant abondamment, faillit perdre de vue la raison de sa venue.

L’étal de ce banquet pour les papilles l’ébouriffa quelque peu, et elle ne s’en remit qu’après une escrime honorable.

Visant un marmiton arrosant soigneusement d’un filet de vin une dorade grillée, réprimant un soupir d’aise, Sérina le harponna.

— Eh toi !

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La dague de l’orphelin | CLAUDEL Gwendal

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La dague de l’orphelin | CLAUDEL Gwendal