

Une rencontre fortuite
ur cet instant adjugeant une insolite impression sur l’âme des jouvenceaux, d’un commun accord, S ceux-ci empruntèrent le sentier de l’évasion du galetas. La paire de frondeurs convinrent d’une fugue en bonne et du forme par la fenêtre la tour.
Un lierre épais enlaçait la façade ouest. Celle-là même qui donnait sur la rue adjacente. Par un subtil jeu de grimpette, plausible qu’était l’honneur de gloire. Ne surprenant d’option de meilleur goût, haussant les épaules, ils s’élancèrent à l’assaut du raide dévers.
Faussant compagnie aux entités de ce lieu, accaparé par sa désescalade, et exsudant un ruisseau salé du moindre de ses pores, Grinn lui prêta mille précautions.
Son bras invalide le tenaillait farouchement et ne lui accordait que peu de répit.
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Attentif, au profil de ce mur végétal, il progressa avec une exquise circonspection. Ses ongles et ses chausses pénétraient les quelques interstices dans la pierre lorsque le lierre ne pouvait décemment plus assumer les kilogrammes âprement grapillés.
En outre, malgré le calvaire essuyé, il veilla à ne point alarmer les veilleurs embusqués ici et là. Etant savant des coordonnées de chacun d’eux, il ne lui était que peu malaisé de s’insinuer galamment entre les mailles du filet ainsi tendus.
Durant son effort requérant une attention de chaque soudain, concernant le cas de Suzy Vilar quatrième ro-sière de la maison Vilar, il se fit progressivement raison.
Amèrement, le cœur serré, il fila sans la mettre au parfum de l’entreprise.
« Trop de personnes veulent ma peau, après ce qui s’est passé, je peux pas risquer d’entraîner plus de gens dans tout ça ».
Une fois qu’ils eurent mis pied à terre, après s’être suspendus au parapet de l’enceinte de l’orphelinat, ils fusèrent droit vers la rivière des nobles !
Tout au long de l’itinéraire de la frasque, au fur et à mesure de leur progression, ils s’aperçurent, à leur dépens de la cuisante réalité. Chaque pas pesait davantage que le précédent, imprimant un mouvement de recul pour le suivant.
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Par ces fortes températures ondoyant dans les parages, seule une timide foule de fervents s’hasardait à défier l’éloquente flamme du tournesol céleste. Pour cause, ils ne croisèrent qu’une poignée d’audacieux nar-guant le souverainisme du radieux.
Avec justesse, chacun préférait se terre dans son chez soi afin de jouir d’une fraîcheur bien que relative, quitte à ne point appréhender la lueur de ce phare cosmique.
Les incessantes manœuvres de cette entité lointaine poussa d’ailleurs les adolescents à reconsidérer en de moult instance la pertinence de leur combine.
— Eh Grinn, t’es sûr que c’est vraiment l’bon plan ?
J’ai comme l’sentiment qu’on v crever d’soif avant même d’voir ne serait-ce qu’une goutte d’eau… rouspéta Pat, tanné par l’atmosphère écrasante.
— Mais non, mais non… Aie un peu de patience mon ami, nous y somme presque. Le rassura calmement son compère.
— Chuis sûr q’c’est encore s’per loin ! Et puis qui sait… p’tête que t’auras populace dans l’coin ! T’sais bien que nos visages attirent l’pépin…
De plus en plus assuré que son luron en plus de se draper du tablier du gourmand, se nippait du dolman du déserteur.
— Pat voyons… Ne te fais pont de bile… Par ma halte, nous ne croiserons nul âme qui vive. Pas même l’avifaune des environs ne démasquera notre irruption.
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— Humpf… toi et ta verve… Et sinon on est bientôt arrivés ? souffla-t-il un relevant un sourcil.
Pas de réponse.
— Eh vieux réponds ! Chuis sérieux ! se hérissa le brun sur des charbons ardents.
Pour seule riposte aux vitupérations de son confrère, Grinn sourit facétieusement. Non content de mal-mener davantage son ami en pressant le pas, il mit un point d’honneur à s’affubler du mutisme de la carpe.
De surcroît, depuis une semaine, la fantaisie de converser lui offensait le palais comme une galéjade de barbare finesse. De fait, ne pas desserrer les dents lui seyait admirablement.
Une envolée d’heures plus tard, Pat, haletant comme un fourneau lancé à plein régime, s’étala de tout son long sur un humus à la captivante exhalaison. Pante-lant due à la surchauffe des machines, il harpailla de tout son saoul l’ignoble pendard qui le poussa dans pareils retranchements.
A l’état de meilleure facture, la cible de ces injures fit gorge chaude.
Raillant allégrement de la misérable condition de son poilant drille, Grinn gouailla en grattouillant la bedaine proéminente de la chaudière ronflante.
— Tu vois, c’était pas si terrible… avec moins de renfort et plus d’efforts…
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— Grmml… Ne te moque pas d’mon giron. Renauda-t-il en caressant affectueusement le haut de sa ceinture.
— Ahah… Allez viens, on va y plonger dans cette source qui nous aura valu un sacré coup de chaud !
Agile et gracieux comme un félin, Grinn, en de longues enjambées pénétra dans une vaste clairière à la végétation luxuriante. Humant intimement le souffle de ces bois. Inhalant de larges goulées de cette fraîcheur bienvenue, il flatta les abords.
Un vert jade gorgé de vie paonnait superbement, entrecoupé de troncs élancés à l’exubérant ramage.
L’épaisse frondaison de ces gardiens des sylves allouait aux itinérants de ces lieux une fraîcheur noblement sa-luée. Véritables rôdeurs appâtés par l’allante rosé que dispensait la résidence, ces messieurs se délectait des délices suggérés.
Distrait par le beauté chimérique avancée, Grinn s’évada durant un temps. Pensif, il se repassait le fil de ces dernières années, l’exil déchirant, l’arrivée dans l’orpheline au combien oublieux, sa rencontre fortuite avec Pat, ses jours passés à enchaîner les larcins, les fêtes des damnés successives, et le triste fratricide…
Cette vilaine plaie qu’était cette irrévérence au cinquième commandement, le lancinait encore atrocement.
La cicatrisation de cette entaille aérienne battait vraisemblablement le pavé et tardait drôlement.
« Dire que… Et son frère qui… Peut être devrais-je… Non et Pat ? et Suzy ? et ? A quoi songe donc… ? ».
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Plongeant sans réserve dans une culpabilité sensée et proportionnée pour un citoyen de son âge le fripon se laissa nonchalamment emporter par la vague du déshon-neur. Rongé par l’infamie, il baissa les armes et cessa d’agiter les rames.
Son esprit se brouilla graduellement et un à un ses sens se coupèrent. Fendant les flots d’un océan à la rivière d’encre, ivre de ce néant décharné du moindre soupir, la barque manœuvré sombrait inexorablement.
*
* *
Malencontreusement, inévitable qu’était la fièvre lorsque pécheur d’un tel crime. En cette occurrence, par raccroc, une âme conciliante l’extirpa de sa vésanie.
— Grinn… Grinn… ! Ressaisis-toi !
— Grmml… Quoi… ? marmonna le rescapé d’une voix curieusement pâteuse.
— Pfiou… T’m’as fait une peur bleue… Tu t’es écrou-lé d’un coup comme une poupée d’chiffon… t’es sûr q’ça va ? s’enquerra anxieusement Pat, focalisé sur les gouttelettes de sueur sur le front cuisant de l’indisposé.
Encore étourdi, Grinn apaisa sa crainte.
— C’est bon… En route Pat…
D’un pas chancelant il s’ébranla. A l’instar d’un châ-telain ayant abusé de breuvage vermeil de ses caves aux 235
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richesses transportant l’éploré, il tituba. A nouveau, il partit rejoindre l’humeur terrestre.
— Eh là… s’écria le brun avant d’empoigner sèchement l’avant-bras de coquin.
Le rattrapant habilement dans sa disgrâce, Pat, de plus en plus nerveux de la condition présentée, et ne désirant point forcer une marche à la convenance désormais infondée l’invita à rebrousser chemin.
— T’veux pas qu’on fasse d’mi tour ? J’ai plus d’trop envie d’y aller à c’te rivière des nobles…
— Non ! On ira un point c’est tout ! On a pas fait tout ce chemin pour repartir bredouille la queue entre les jambes ! éclata Grinn hors de lui.
— Eh oh ça va un peu ! Si j’dis ça c’est pour ton bien !
T’sais même plus enchaîner deux enjambées sans t’écrouler face la première ! se justifia un Pat crispé.
— Vas-y répète ça pour voir gros malin !
— Ah parce qu’en plus monsieur est devenu sourd par-dessus le marché ! rétorqua Pat faussement inquisiteur ?
— Au moins je fais pas le poids d’un sanglier au bord de l’ingestion ! rétorqua vicieusement Grinn furibond.
— Oh toi… gronda son voisin qui s’arrêta subitement pour tendre l’oreille.
Plissant les yeux, impénétrables fut le cheminement de son intelligence. Figés à la manière de la royale statue de l’illustre palais d’Almendra, Pat ne broncha pas du moindre centimètre. Ainsi statué, son expression laissa 236
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Grinn pantois qui ne savait dorénavant plus de quel sabot giguer.
Puis, austère, le pisteur à l’affût des échos de ces bois, apostropha son commensal.
— Eh Grinn… on n’était pas censé être seuls… ? Chuis pas fou, j’entends des voix non ?
Son audience piqué, Grinn négligea insolemment la virulente échauffourée qui venait tout juste d’avoir lieu, la première que leur fraternité eut compté.
Effectivement, en s’acheminant vers le foyer de ces discrètes résonnances, Grinn percevait distinctement l’entrain de ceux qui s’ébattaient au loin. Pour sûr l’expression de cette alacrité était lointaine, mais bien présente ! Nul doute pour la bande, la pétulance d’autrui gagnait les alentours.
— Et voilà, j’y aurais mis ma main à couper q’d’autres nous auraient d’vancés… bougonna Pat en tapant dans une pierre qui ne demandait qu’à brosser le revers de ses souliers.
Se caressant le menton, Grinn parut contemplatif.
Préoccupé, il était réticent à s’énoncer auprès d’étrangers que l’identité menaçait. Son insistance d’à peine une minute plus tôt pâlit aussi vite qu’elle l’obnubila.
« Avancer ou reculer, tels sont nos droits…. Divulguer notre parenté ou la mettre sous clefs, tel se formule le dilemme… »
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Néanmoins, malgré ce trouble déclaré au pied levé, Grinn passa outre cet averti malaise et accabla son ambition passée, celle d’infiltrer le cours d’eau des nobles et de s’y ragaillardir.
La mine sévère il porta le dénouement.
— La chose est regrettable… Toutefois, on va pas rebrousser chemin après s’être fendu le dos à couvrir mille lieux… Et puis… si on s’enfonce davantage dans la futaie on pourra esquiver ces indiscrets.
— Oui Chef, bien Chef ! obéit Pat en se mettant céré-monieusement au garde à vous.
Droit comme un « i », la bleusaille se publiait dignement. Ne sourcillant, Pat faisait preuve d’une contenance singulière pour un olibrius de sa trempe.
Jugeant le soigné prudhommesque de sa sentinelle fraîchement adoubée, Grinn leva les yeux par dépit.
— Tsss… Toujours le mot pour badiner ce rigolboche.
— Ce… ? le pria Pat se présumant que le vocabulaire emprunté et le ton qui l’escortait satirisait son chic militaire scrupuleusement lustré.
— En avant ! le convia l’interrogé qui détourna la réflexion de sa vieille branche.
Ainsi, s’engouffrèrent les deux jeunes gens en quête d’un point d’eau à l’accueillante pureté et au limpide profil. En tapinois, à une distance convenable, ils longèrent la 238
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grève. Avec défiance ils progressèrent en tâchant de ne point alerter la souche de leur effarouchement.
Une fois résolus qu’une marge manifeste les désoli-darisait de cette bande de folâtres manches, incapables de taire leur position, les mineurs enrayèrent leur mouvement. Dressant l’écoute, ils soumirent toute leur sollici-tude au propager des sylves.
— Et là tu saisis quelque chose ? s’enquerra Grinn qui s’en remit à l’ouïe des plus fines de la cité.
— J’crois q’c’est bon… J’entends plus rien pour l’moment. Les rires sont d’l’autre côté donc pas d’risque qui nous court après…
— En est-tu absolument certain ?
— Rooh… Puisque j’te l’dit ! Si t’as trop la frousse t’as qu’a faire d’mi-tour une fois parti en éclaireur. Ronchonna-t-il tout en bâillant un bon coup.
— Et pourquoi moi d’abord ?! Toi, vas-y ! Je t’en prie, la forêt est tienne. S’offensa Grinn qui désavouait catégoriquement ce plan qui préconisait sa propre insécurité au profit de l’agrément du déluré.
Mélodramatique, le revers de sa main, sur le front, Pat refléta le maintien du froissé.
— J’aurais tant souhaité, seulement… l’éclat que te confère le titre de chef de meute me force à m’incliner devant ta grandeur et à te laisser prendre les devants.
Nébuleux de l’invisible cachet cartésien de la logique articulé, Grinn, outré, l’interpella.
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— Eh oh, en tant que meneur je peux te discipliner à ma guise. Par ma grâce, je t’ordonne alors de cornaquer !
clama-t-il d’un air fat.
— …
Désormais enlisé dans ces niaises flagorneries, Pat, suant à grosse gouttes, tenta vainement de s’en extirper en justifiant sa dialectique. Son inspiration était telle qu’il alla jusqu’à se prosterner aux pieds de son bienfaisant.
Abrégeant les souffrances du misérable, Grinn se porta volontaire pour l’incursion peu jalousée.
— Bon c’est d’accord, j’y vais, mais bien parce que j’en suis l’instigateur…
— Génial ! exulta le facétieux qui ne refoula point sa félicité.
Malgré sa griserie gaiement déployée, il recula de quelques pas, soupçonneux de la largesse de ce philanthrope. « On est jamais trop prudent dans c’monde », rumina-t-il en coulisse, dans l’expectative de cette œuvre de courtoisie.
Comme convenu, l’altruiste à la patte boiteuse s’exécuta. A pas mesurés, pour ne pas, ne serait-ce que couper bras et jambes à une branchette blâmée par sa ra-mule, Grinn s’aventura en direction du tendre ruisseau à la ressource tant convoitée.
Tout appliqué sur son ouvrage, tandis qu’il lou-voyait adroitement entre les amorces auriculaires de ber-240
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ceau enchanteur, irréfragable souricière soit dit en passant, un timbre tourmenté le hucha.
— Psst…
— Quoi ?
— Oublie pas d’me faire signe hein… ?
— La ferme abruti… récrimina Grinn en s’attelant de nouveau à son engagement.
Au cours de sa progression, le suave grondement d’une cascade emplissait peu à peu l’ambiance. L’inertie de ce cours magistral sonnait ostensiblement pour ceux agréant son oraison. Berçant les esprits et entraînant les indécis, ce joyau des sylves payait ses respects à quiconque partageait son bain.
Enfin, jouxtant la grève de sa visée, il s’immobilisa.
Nonobstant l’aimable gazouillis de l’avifaune nicheuse s’égosillant follement, la tranquillité du lieu chambardait le naturel de l’adolescent.
Avec celle-ci, la fébrilité de l’impénétrable se réper-cutait ouvertement sur son cœur battant dès lors la chamade. Une main appliqué dessus, lui sommant de réfréner son émeute, l’éclaireur se recueillit quelques instants.
Travaillé par ce tourment aux indécelables racines, il s’interrogea. « Mais qu’est ce qui me prend ? C’est rien qu’une banale rivière… Rien de fantasque n’y trempe ses orteils… ».
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Admonestant sa bravoure de témoigner d’un brin de folie, il s’élança. Ecartant méticuleusement les ultimes couches feuillues qui obstruaient sa vue, il dispensa un coup d’œil à la trouée ainsi suscitée.
Cependant ce qu’il y vit le paralysa de la base à la cime. Pétrifié, il n’esquissa plus le moindre geste, comme transi de fêter son essence. Cloué sur place, maladroit de mouvement et prit de mutisme, il ne put que fixer philo-sophe l’objet de son atonie.
Pour la toute première fois, c’est ici qu’il la vit.
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