Printemps Parfumé by LTI - HTML preview

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PRÉFACE




Tchoun-Hyang est le premier roman coréen qui soit traduit en français, et même, nous croyons pouvoir l’affirmer, le premier qui soit traduit dans une langue d'Europe.

La presqu’île de Corée tient à la Chine et à la Sibérie et s'approche du Japon. Les Chinois, les Japonais en ont à diverses reprises tenté la conquête. La Corée est restée indépendante. C’est un royaume. Le roi gouverne avec la noblesse. Les fonctions publiques sont conférées aux jeunes nobles, après un examen portant sur la linguistique, la philosophie, la littérature et l’histoire. L’arithmétique est aussi dédaignée qu’elle pouvait l’être par nos barons féodaux. La langue de l’enseignement est le chinois, c’est la langue officielle écrite ; mais comme la langue chinoise écrite ne se parle pas, même en Chine, il existe à côté de la langue officielle écrite en Corée une langue alphabétique, syllabique, dont le génie ne diffère pas essentiellement du génie de nos langues occidentales. On conçoit que cette langue vivante donne plus d’originalité à un récit que la langue morte et conventionnelle des écoles. Nous nous félicitons donc de pouvoir présenter aux lecteurs une traduction faite sur un texte coréen, avec l'aide du seul lettré de ce pays qui soit jamais venu en France[1].

Les aventures d'I-Toreng et de Tchoun-Hyang sont offertes comme authentiques : des descendants d’I-To-reng existent encore à Séoul, capitale de la péninsule. Ce récit, si populaire en Corée, est anonyme, et presque tous les romans coréens le sont, parce qu'ils renferment des critiques contre le gouvernement.

Beaucoup de romanciers coréens sont des bâtards. La fidélité de la femme est exaltée à ce point que la veuve n'a pas droit à se remarier ; les enfants qu'elle conçoit après la mort de son mari sont illégitimes. Quand la femme est noble, elle instruit ses bâtards, mais ne pouvant aspirer aux fonctions publiques, ils s'aigrissent, se retirent dans la montagne, y vivent de la vie des anachorètes, écrivent des œuvres plus ou moins bien inspirées, mais toujours amères contre l’état social.

Autrefois boudhistes, les Coréens suivent aujourd’hui, pour la plupart, les préceptes de Confucius. La famille est la base de l’Etat. L’enfant reste toute sa vie soumis à ses parents. Déjà marié, le fils s’incline encore avec respect, rend compte de ses actes. Il n’oserait s’asseoir devant son père qu’il n’en ait reçu l’ordre ; il n’oserait fumer. D’ailleurs, il vit avec sa femme et ses enfants sous le toit paternel. Les liens de parenté sont retenus avec le plus grand soin. Le premier livre d’histoire du jeune Coréen, ce sont les annales de la famille, annales qui remontent à 3,000, 4,000 ans, et même davantage. Le traducteur de ce récit fait remonter son origine, avec la plus entière certitude, à l'établissement en Corée de Hong le Savant, lettré Chinois, envoyé auprès du roi de Corée par l’empereur de la Chine, il y a 3,500 ans.

La règle est de ne jamais laisser sans secours un parent pauvre, même très éloigné. On se doit, dans l’ordre coréen, à ses parents, à son maître, à ses amis et à ses consanguins. L’amitié est sacrée ; elle dure autant que la vie, ou du moins faut-il des motifs graves pour la rompre.

A vrai dire, les Coréens sont des Chinois très purs[2]. N’ayant pas subi, grâce à leurs montagnes, la dernière invasion des Mandchous, ils ne portent pas le chapeau abat-jour et la longue queue imposés par les Tartares en signe de vassalité ; ils portent la vieille coiffure de Confucius, d'un grand ca-ractère ; ils ont les cheveux mi-longs, relevés sur la tête et noués d’un fil de soie.

Tchoun-Hyang est à plusieurs égards une œuvre d’opposition ; non seulement les chants des cultivateurs et des écoliers, la poésie remise par I-Toreng au mandarin de Oun-Pong protestent contre l’arbitraire gouvernemental, mais le mariage même d’un fils de mandarin avec une pauvre fille du peuple est un acte de haut courage en lutte contre les coutumes.

Toute l’idylle respire la bonté ; l'héroïne est parfaite. Elle aime de l’amour le plus dévoué, mais elle trouve la force de maintenir I-Toreng dans le devoir.

« En songeant tout le temps à notre amour, vous n’étudierez pas,  — dit-elle, — vous ne serez pas assez  instruit, vous rendrez le peuple malheureux, vos parents seront attristés et, de plus, vos visites trop fréquentes auprès de moi affaibliront  votre corps. » 

Les premières années du mariage coréen s’écoulent très souvent dans la chasteté. Le jeune mari conquiert sa femme en même temps que ses grades, et son amour sert ses études. Car, le mari étant encore étudiant, les voluptés fondraient son énergie. La femme l’écarte par de tendres paroles : 

« Crois-tu que je n’en souffre pas  autant que toi ; mais il faut que tu deviennes un homme. »

Une femme, qui agirait autrement, serait blâmée et le mari, qui se fâcherait, encourrait la terrible colère paternelle. D’ailleurs, le mariage est une affaire sérieuse qui se règle entre les parents.

L’Histoire de Tchoun-Hyang rompt la coutume d’unir des gens qui ne se connaissent pas. Ici, la jeune fille se donne à celui qu'elle aime, et I-Toreng n'hésite pas à s'engager avec Tchoun-Hyang, à l'insu de ses parents.

Il est à noter que nul ne périt dans cette histoire, pas même le méchant mandarin ; l'auteur n'a pas voulu de sang sur les figures suaves de ses héros : I-Toreng et Tchoun-Hyang gardent jusqu’au bout leur exquise bonté, leur noblesse, si haute que nous ne pouvons rien leur opposer de plus grand dans notre orgueilleuse Europe. Cette même jeune fille, qui a rejeté tout vain scrupule de pudeur pour se donner à son amant, sera d'une inébranlable fidélité ; aucune action vile, aucune parole envenimée par le soupçon ne lui viendra dans l'infortune. Dès qu'I-Toreng est parti, elle se vêt pauvrement, elle met dans un coffre ses parures, ces mêmes parures qu'elle fera vendre plus tard pour secourir son ami. Après une longue absence, I-Toreng se montre à la lucarne de la prison et elle le regarde :

« Oh! — s'écrie-t-elle, éclatant en  sanglots, — il y a si longtemps! si  longtemps! » 

Et elle passe fiévreusement sa main par la lucarne, elle y passe aussi la tête qu'elle livre aux baisers de l’amant. Et l’amant n’est plus qu’un vagabond sordide!

Pour sobres, les traits de mœurs sont bien saisis : le domestique avide et artificieux, la vieille entremetteuse plaintive, l’aveugle nécromancien qui refuse énergiquement de la main droite tandis que sa gauche s’avance pour accepter.... Les quelques descriptions renseignent avec clarté : c’est le tremblement des ombres sur le sol, les oiseaux qui ne peuvent dormir dans le bruit des bambous entrechoqués, les poissons qui sommeillent à l'ombre des branches... La lune tient la place d'honneur en poésie : Tchoun-Hyang apparaît « comme la lune entre deux nuages », et Tchoun-Hyang, regardant I-Toreng, pense que sa « figure est belle  comme la lune se levant à l’Orient des montagnes ». La fleur n’est pas moins importante : la bouche de la jeune fille est « comme la fleur du  nénuphar entre-close sur les eaux », la neige parfumée des fleurs du pêcher vole « comme des papillons au  cœur froid ». Tout cela possède un grand charme de candeur, mais l’accent monte, lorsque I-Toreng déclare que « les pleurs des beaux cierges de fête  sont les larmes de tout un peuple affligé », que « les chants des courtisanes ne s’élèvent pas plus haut que les gémissements et les cris de reproche de tout un peuple qu’on  pressure odieusement ».

Nous avons la conviction que cette courte idylle renseignera mieux sur la Corée, sur l'esprit et le sentiment mongols que de plus longues histoires. Elle nous apprendra ce que nous avons besoin d’apprendre toujours : la beauté et la bonté des races rivales ; elle nous inspirera une sympathie tout humaine pour ces frères au teint bronzé, pour ces lentes civilisations jaunes qui peuvent nous apprendre des secrets de durée et de conservation, et peut-être aidera-t-elle que notre rencontre avec eux ne soit point destructive, comme le fut notre rencontre avec le rouge ; peut-être aidera-t-elle à quelque bel accord pacifique où nous féconderons leur trop prudente analyse, où ils féconderont notre trop prompte synthèse.


J.-H. ROSNY.