Brittia : L’Histoire méconnue des Bretons by Hervé Cariou - HTML preview

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Europe

Avant d’aborder le sujet de l’origine des Bretons, un survol de l’Histoire européenne est loin d’être un luxe. On commence par le Ve millénaire av. J.-C., soit entre l’an -5 000 et l’an -4 000. 

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Nous sommes deux mille ans avant l’éclosion de la civilisation égyptienne. Principalement, ce sont des chasseurs-cueilleurs qui peuplent l’Europe. Les sites nommés (lieu ou habitants) correspondent à des cultures sociales connues de l’archéologie. Le symbole img3.png correspond à des régions de fermiers dispersés sans culture sociale particulière. Celle au nord des Alpes et celle de Vinča sont étendues et couvrent (au moins) les rives du Rhin et du Danube.

L’architecture en pierre est peu développée et elle est concentrée en Bretagne et dans le Poitou. Cela dit, en Anatolie (Turquie et nord de la Syrie actuels), ce genre de sites existe depuis au moins le millénaire précédent. Enfin, les ancêtres des futurs Basques sont déjà présents dans les Pyrénées.

Barnenez abrite le plus ancien (et le plus grand) cairn d’Europe. Ce dernier fait 70 m de long et 20-25 m de large et comprend 11 chambres funéraires. Locmariaquer fut un site habité de plusieurs hectares et sa densité de population était élevée (pour l’époque). Enfin, à Carnac, c’est le début de la construction des alignements.

La proximité des trois sites est-elle un hasard ? On irait jusqu’à suggérer que Carnac était le chantier, que Locmariaquer était le lieu de vie de la main-d’œuvre et que Barnenez honorait des personnalités de l’époque. Dans ce cas, quelle culture (organisation sociale) du néolithique pouvait-elle déployer de telles ressources ? Et dans quel but ?

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Le site de Carnac est toujours en activité. Au milieu du millénaire, c’est le début de la construction de Stonehenge. Enfin, la première cité fortifiée européenne apparaît aux Orcades, un archipel au nord de l’Écosse : c’est le Ness de Brodgar. Le site a une taille de trois hectares et abrite entre autres une muraille de 400 m de long.

L’excentricité de ce Ness interpelle les spécialistes. Comment peut-on expliquer la présence de la plus ancienne cité européenne sur une île de 500 km2 située à la même latitude qu’Oslo et où résident de nos jours 17 000 habitants ? Des cultures avancées de l’époque pratiquaient-elles la navigation maritime et optaient-elles pour des terres à l’écart du continent européen ? Enfin, sont-elles liées à celle de Locmariaquer ? Sont-elles issues de communautés agricoles locales ?

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Les sites de Carnac, Stonehenge et Brodgar sont toujours en activité. De nouvelles cultures apparaissent : celle des Minoens en Crète, celle des Hourrites en Anatolie, celle du Argar en Murcie (Espagne) et celle de la Céramique cordée dans le nord de l’Europe. Le minoen (le linéaire dit A) est le premier langage européen connu et n’est toujours pas déchiffré. Les historiens ignorent donc si les Minoens étaient indo-européens mais ils savent que les Hourrites ne l’étaient pas.

Le site de la culture du Argar a une superficie de 4,5 hectares et abrite entre autres des remparts de 300 m de long. C’est le premier site fortifié connu sur le continent. Il est moins excentré que celui de Brodgar mais sa situation géographique interpelle également les spécialistes.

À la fin du millénaire, la population mondiale aurait atteint les 100 millions d’habitants. Si l’on applique le ratio actuel (5 %) entre les populations européenne et mondiale, les Européens sont 5 millions à cette époque.

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Les sites de Carnac et de Brodgar s’éteignent. Une nouvelle culture avancée apparaît en Anatolie : le Hatti. Les Indo-européens font leur apparition officielle en Europe (Illyriens, Thraces, Macédoniens, Philistins, Achéens, etc.) et en Anatolie (Hittites, Louwites). Enfin, les cultures des Champs d’urnes et de Villanova apparaissent. On peut également ajouter que les Phéniciens du ProcheOrient sillonnent la Méditerranée depuis (au moins) le début du millénaire.

À propos de l’origine des populations indo-européennes en Europe, deux théories s’affrontent. Selon la première, ces populations ont évolué à partir de communautés agricoles locales. Selon la seconde, ces Indo-européens étaient des migrants.

Selon le Lebor Gabála Érenn irlandais (le plus vieux récit européen), les Scythes résidaient déjà sur les rivages de la mer Caspienne à la fin du millénaire. Même si la chronologie du livre spécifie une époque plus ancienne, nous nous basons sur le nombre de générations (45) décrites dans ce livre avant l’an zéro de notre ère. Les Scythes sont des Indo-européens et seraient issus de la culture d’Andronovo (Sibérie…).

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Des Thraces fondent la Phrygie et la Lydie. Des Louwites fondent (possiblement) la Lycie. Le Hatti (déjà colonisé par les Hittites) s’est éteint sous les coups de boutoir des « Peuples de la mer » (et des Philistins en particulier). Des Hourrites fondent l’État de l’Ourartou. Enfin, les Ibères apparaissent en Espagne et c’est la période de la création d’Athènes.

Selon le Lebor Gabála Érenn irlandais, les Scythes ont une colonie en Sicile. Ils s’y rendent en passant par la mer Noire, la mer de Marmara et la mer Égée. Ils atteignent l’Irlande et fondent une colonie dont la population (avant de s’éteindre) atteindra 9 000 membres. Cette colonie était confrontée aux « Fomoriens » de l’île de Grande-Bretagne (une population inconnue de l’archéologie).

 

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La Phrygie est victime d’une incursion de Cimmériens. L’Ourartou doit s’avouer vaincue face aux Scythes et aux Arméniens. La Lydie ne peut résister aux Perses et la table est mise pour les futures guerres médiques entre les cités grecques et la Perse. La culture de Hallstatt succède à celle des Champs d’urnes. Enfin, ce sont surtout deux populations sorties de « nulle part » qui attirent l’attention : les Cimmériens et les « Keltoi » de Provence (France actuelle).

Les premiers sont des Indo-européens qui vers l’an -600 vont devoir quitter les rivages de la mer Noire pour éviter d’être submergés par des Scythes. Les seconds sont des autochtones qui peuplent la région de la colonie grecque de Marseille fondée vers l’an -600. Les colons les désignent sous le nom de Keltoi. Les Romains latiniseront le nom : Celtae. Aujourd’hui, on parle de Celtes. Les historiens assimilent la culture de Hallstatt et les Celtes de Provence.

Selon le Lebor Gabála Érenn irlandais, les Scythes ont des colons en Espagne : les Gaëls. Mieux encore : ils sont revenus en Irlande en deux vagues successives : les Fir-bolgs et les Tuata De (« Peuples des Déesses »). Et cette fois, malgré les Fomoriens, ils se sont installés définitivement. Les Gaëls finiront par les rejoindre et les chasser vers l’île de Grande-Bretagne. C’est la raison pour laquelle l’ancienne langue des Irlandais (et des Écossais) est le gaélique. Enfin, le suffixe « bolg » du nom des Fir-bolgs serait l’étymologie de Belge.

Concernant les vagues migratoires des Scythes décrites dans le Lebor Gabála Érenn, nous les avons résumées dans un essai précédent, Scythia : L’étonnante Histoire de l’antique Irlande.

 

Hérodote

Les vagues d’émigration cimmérienne sont plus récentes. Et leur point de départ est l’ouvrage Histoires de l’auteur grec Hérodote.

Hérodote (480-vers 420 av. J.-C.) était historien et géographe. Il était le fils d’un certain Lyxès probablement originaire de la Carie antique. En 469 av. J.-C., sa famille s’exile à Samos car elle est en conflit avec le tyran carien Lygdamos. Il fera des séjours en Égypte, en Syrie, dans la cité de Tyr (Liban actuel), à Babylone (Irak actuel), en Colchide (Géorgie moderne), dans la cité d’Olbia (Ukraine actuelle) et en Macédoine. 

De retour à Halicarnasse, en Carie, vers 454 av. J.-C., il participe à l’insurrection qui renverse la tyrannie. Puis il doit s’exiler à nouveau et s’établit à Athènes où il sympathise avec Sophocle. Il suit ensuite les colons qui, à l’instigation de Périclès, partent fonder la cité de Thourioi, dans le sud-est de l’Italie. En fait, on parle d’une refondation car cette cité existait autrefois sous le nom de Sybaris.

Nous allons passer en revue les informations d’Hérodote sur les Cimmériens.

« On en raconte encore une autre à laquelle je souscris volontiers. Les Scythes nomades qui habitaient en Asie, accablés par les Massagètes, avec qui ils étaient en guerre, passèrent l’Araxe et vinrent en Cimmérie ; car le pays que possèdent aujourd’hui les Scythes appartenait autrefois, à ce que l’on dit, aux Cimmériens. »

« On trouve encore aujourd’hui, dans la Scythie, les villes de Cimmérium et de Porthmies Cimmériennes. On y voit aussi un pays qui retient le nom de Cimmérie, et un Bosphore appelé Cimmérien. Il paraît certain que les Cimmériens, fuyant les Scythes, se retirèrent en Asie, et qu’ils s’établirent dans la presqu’île où l’on voit maintenant une ville grecque appelée Sinope. »

La cité grecque de Sinope était au sud de la mer Noire. Les Cimmériens auraient donc vécu autrefois dans le pays actuel des Scythes et se seraient retirés en Asie (occidentale) sur les rivages de la mer Noire. Ils étaient également dans le Bosphore (Turquie actuelle). C’est un détroit qui relie la mer Noire à la mer de Marmara. 

« Dans tout le pays dont je viens de parler, l’hiver est si rude, et le froid si insupportable pendant huit mois entiers, qu’en répandant de l’eau sur la terre on n’y fait point de boue, mais seulement en y allumant du feu. La mer même se glace dans cet affreux cli, ainsi que tout le Bosphore Cimmérien. »

C’est peu de dire qu’à l’époque, le climat de cette région semblait bien plus rude qu’aujourd’hui.

« Cyaxare, petit-fils de Déjocès. Ce fut lui qui chassa les Cimmériens de l’Asie. »

Cyaxare était un souverain scythe. C’est sous son règne que les Cimmériens quitteront définitivement l’Asie. Hérodote décrit le débat chez ces Cimmériens avant que les Scythes ne leur tombent dessus.

« Ceux-ci, les voyant fondre sur leurs terres, délibérèrent entre eux sur cette attaque. Les sentiments furent partagés, et tous deux furent extrêmes ; celui des rois était le meilleur. Le peuple était d’avis de se retirer, et de ne point s’exposer au hasard d’un combat contre une si grande multitude ; les rois voulaient, de leur côté, qu’on livrât bataille à ceux qui venaient les attaquer. Le peuple ne voulut jamais céder au sentiment de ses rois, ni les rois suivre celui de leurs sujets (…)

Les deux partis persévérant dans leur première résolution, la discorde s’alluma entre eux de plus en plus. Comme ils étaient égaux en nombre, ils en vinrent aux mains. Tous ceux qui périrent dans cette occasion furent enterrés, par le parti du peuple, près du fleuve Tyras, où l’on voit encore aujourd’hui leurs tombeaux.

Après avoir rendu les derniers devoirs aux morts, on sortit du pays et les Scythes, le trouvant désert et abandonné, s’en emparèrent. »

Ces évènements ont lieu après l’an 630 av. J.-C. car Hérodote précise que les Cimmériens en fuite pilleront la cité grecque de Sinope (fondée vers -630). À leur décharge, on peut préciser qu’ils avaient une population (en fuite) à nourrir. Nous sommes donc plus d’un siècle avant la fondation de la démocratie en Grèce et les Cimmériens comptent déjà des « partis » dont le « parti du peuple ». 

La suite n’est pas connue. Selon la thèse officielle, ils seront colonisés et assimilés par les Scythes. Mais le témoignage d’Hérodote ne soutient pas cette hypothèse. L’idée qu’une partie des Cimmériens ait remonté le Danube n’est pas nouvelle. Pour soutenir l’idée, on peut préciser que le géographe grec Strabon précisait que les Cimmériens avaient des alliés thraces. 

Nous pourrions imaginer le scénario suivant. Les Cimmériens remontent le Danube, s’installent sur des territoires de l’actuelle Roumanie, puis dans la plaine de Pannonie (voire dans la plaine germano-polonaise). Enfin, des populations s’enfonceront encore plus à l’ouest et s’installeront entre le bassin parisien et les Alpes méridionales. Si c’est le cas, nous parlons des… Gaulois.

Certes, officiellement, ces derniers sont issus de la culture de Hallstatt antérieure à une hypothétique immigration des Cimmériens en Europe centrale. Il reste que ces Cimmériens apparaissent spontanément et disparaissent de façon aussi spontanée dans l’Histoire. Pourtant, leur société avait une maturité politique que les Grecs de l’Antiquité n’auront que bien plus tard.

En conclusion, nous irions jusqu’à suggérer que cette immigration cimmérienne massive a fusionné avec la culture de Hallstatt et qu’elle n’est pas étrangère à la culture de la Tène qui s’est développée en Europe à partir de l’an -450. Cela dit, l’objet de cet essai n’est pas l’origine des Gaulois mais celle des Bretons.

 

Kymry

Sur le plan « littéraire », les Bretons font leur première apparition historique dans le plus vieux récit européen : le Lebor Gabála Érenn. Nous utiliserons la traduction d’Henri Lizeray (auteur français, 1844-1905) publiée en 1884 sous le titre Leabar gabala, Livre des invasions de l’Irlande. L’action serait légèrement postérieure au règne du pharaon Nectanébo 1er et se situerait autour de l’an 350 av. J.-C.

« Criomtan du Clair-Bouclier leur raconta ses malheurs, et un remède lui fut indiqué par le druide des Cruitnéacs, pour le temps où il serait en guerre avec les peuples de Fidga, dans les forêts ; c’était un peuple de Bretons qui étaient continuellement en engagement de bataille avec Criomtan. »

Criomtan est un chef de l’antique Irlande et les Cruitnéacs étaient une population originaire du continent et alliée au souverain irlandais Eréamon. Les premiers Bretons connus étaient donc des « Fidga » et ne résidaient pas sur les terres d’Irlande. Ces Fidga étaient une sorte de corps expéditionnaire.

Pour les historiens, les Bretons apparaissent à peu près à la même époque dans l’actuel Pays de Galles sous le nom de Kymry (prononcer Kumri), Cymri ou Cymraeg.

Les premiers textes connus des Kymry datent du VIe siècle apr. J.-C. et ont été inspirés voire rédigés par des bardes gallois. Le texte le plus connu est Y Gododdin ou Livre d’Aneirin (un barde). Les poèmes du barde Taliesin sont également regroupés dans le Livre de Taliesin. Enfin, on peut également citer les poèmes de Myrddin, ce dernier ayant inspiré le personnage de Merlin. 

La seconde vague de textes est plus tardive. L’écrit majeur est le Mabinogion (aussi appelés les Quatre Branches du Mabinogi). Il contient quatre textes élaborés à partir de deux manuscrits du XIVe siècle : le Livre Blanc de Rhydderch et le Livre Rouge de Hergest. Les quatre textes sont « Pwyll, prince de Dyved », Le Mabinogi de Branwen, Manawydan fils de Llyr et Math fils de Mathonwy.

Évidemment, la littérature galloise de l’époque est surtout connue pour sa légende d’Arthur mais cette dernière ne peut nous aider dans la quête des origines des Bretons. En résumé, nous ne disposons que de quatre livres : ceux d’Aneirin, de Taliesin, de Rhydderch (livre « Blanc ») et d’Hergest (livre « Rouge »).

Malheureusement, les textes des bardes ne font guère mieux : ils sont avares d’informations concernant l’origine des Bretons.

 

Owen Jones

Owen Jones est né dans le comté de Denbighshire (Pays de Galles). Au milieu des années 1760, il s’installe à Londres. Il étudiait la littérature galloise dès l’enfance et collectionnait d’anciens manuscrits. Assisté par le barde Edward Williams de Glamorgan (Iolo Morganwg) et l’antiquaire William Owen Pughe, il publie le Myvyrian Archaiology of Wales en 3 volumes (1801-1807), une compilation de manuscrits datés du Ve au XIVe siècle.

Ces manuscrits furent déposés à la British Library de Londres. Il cofonda la Gwyneddigion Society de Londres en 1770 pour encourager l’étude de la littérature galloise. Il meurt en 1814 dans ses locaux sur Upper Thames Street (Londres). L’antiquaire William Owen Pughe (célèbre à son époque) s’est avéré ensuite être un faussaire mais sa contribution à la compilation des manuscrits d’Owen Jones provenait de sa collection personnelle qui, elle, était authentique.

Nous allons nous concentrer sur un personnage décrit dans ces manuscrits : Hu Gadarn. C’est le premier chef des Cymri qui mit les pieds en « Prydein » (GrandeBretagne actuelle). Ces Cymri venaient du « Pays de l’été » et plus précisément de « Deffrobani ». Ils traversèrent la mer « Tawch ». Une fois sur l’île, ils seraient parvenus en « Llydaw ». Deux autres chefs les accompagnaient : Prydein ab Aedd Mawr et Dyvnwal Moelmud.

Nous reviendrons sur le Pays de l’été et Deffrobani mais la mer Tawch pourrait (au conditionnel) être la partie orientale de la mer du Nord qui relie l’Allemagne et l’Angleterre actuelles. Concernant l’île de Grande-Bretagne, ces Cymri l’avaient baptisé Prydein (est-ce un hommage au chef Prydein ab Aedd Mawr ?). Le Llydaw existe toujours et est un lac naturel du Pays de Galles. Enfin, le manuscrit distinguait trois tribus (une pour chaque chef ?).

Ces tribus étaient pacifiques et ne souhaitaient pas accaparer des terres en guerroyant. C’est probablement la raison pour laquelle ils se sont installés dans une région à l’écart d’autres populations de l’époque. Les manuscrits montrent qu’ils ne pratiquaient pas l’agriculture. C’est Hu Gadarn en personne qui les avait instruits dans ce domaine et il avait commencé à le faire au Pays de l’été. Cela dit, un certain Coll, fils de Colvrewi, avait apporté du blé tendre et de l’orge et un certain Elldud Varchawc développa le charruage. Les premiers bœufs « cornus » étaient ceux de Hu Gadarn. 

Ces Cymri n’avaient pas de système de lois et de coutumes (c’est Dyvnwal Moelmud qui le développa). Pire, ils n’avaient aucune « tradition ». Ils décidèrent même d’initier une tradition à travers des chants et de la musique. Les manuscrits citent les trois premiers « compositeurs » : Hu Gadarn lui-même, Tydain et Gwyddon Ganhebon. 

Nous sommes probablement entre l’an 450 et 350 av. J.-C. L’agriculture et les systèmes de lois sont largement répandus à cette époque. Pourquoi cette population est-elle non agricole et dénuée de lois et de coutumes ? Ensuite, le pacifisme était rare à cette époque. Pourquoi cette population lui accorde-t-elle autant d’importance ? 

Les bœufs « cornus » peuvent être une référence aux buffles. Ces derniers furent (à l’origine) domestiqués en Inde (voire en Asie du Sud-est). Néanmoins, à cette époque, ils existaient déjà en Afrique et en Eurasie.

L’appellation « blé tendre » s’oppose au « blé dur » de la Méditerranée. Le philosophe grec Théophraste précisait dans son ouvrage Histoire des plantes que le froment des contrées de la mer Noire avait la réputation d’être plus tendre, de mieux supporter le transport et de se conserver plus longtemps. Quant à l’orge, c’était une céréale répandue en Afrique, en Europe et en Asie depuis des milliers d’années.

Une question se pose : comment une population sans agriculture peut-elle être aussi douée pour la navigation maritime (voire pour la construction de navires) ? En résumé, « quelque chose ne colle pas ».

Le « blé tendre » nous met sur la piste de la mer Noire. Mais Hérodote, à l’époque, précisait que la météo y était hivernale (huit mois par mois). Et la mer Noire n’est plus un candidat pour le « Pays de l’été ». Enfin, les populations de la mer Noire avaient non seulement une agriculture et un système de lois mais certaines pratiquaient déjà la démocratie avant sa naissance officielle à Athènes.

Il reste un indice : « Deffrobani ». Pour certains, ce terme désignait la presqu’île de l’actuelle Istanbul mais aucun manuscrit ne soutient une telle hypothèse. Pour d’autres, ce serait un dérivé du grec « Taprobana » qui désignait une île dans l’océan indien à l’époque où Alexandre avait atteint les Indes. Selon les auteurs, on parle de Ceylan ou de Sumatra (voire même de Bornéo). Cela commence à faire loin. Enfin, les Cymri sont des Indo-européens et ces îles lointaines n’ont jamais compté de populations indo-européennes.

Est-ce une impasse ? 

Il reste la piste linguistique. Les anciens Gallois parlaient le cymrique (on parle du « welsh » pour les Gallois actuels). La langue cornique et la langue bretonne sont deux langues « sœur ». Si l’on compare avec le gaélique, les deux langages partagent environ la moitié des syllabes (hors sonorité et syntaxe). On sait (par le Lebor Gabála Érenn irlandais) que le gaélique est originaire de Scythie. Cela dit, les langues indo-européennes pourraient être issues d’un tronc commun très ancien. Ensuite, lorsqu’elles cohabitaient, on ne peut pas exclure des emprunts (à l’image du français qui emprunte au latin, au grec, au germain, etc.). En résumé, une origine scythe des Cymri ne peut être soutenue.

On note aussi quelques similitudes entre le cymrique et la langue des Louwites qui occupaient la partie méridionale et occidentale de la Turquie il y a 3 500 ans. Certains auteurs avancent même l’hypothèse que la ville de Troie n’était pas hittite mais louwite. C’était des Indo-européens qui auraient été assimilés par d’autres populations plusieurs siècles avant la migration des Cymri. Cela dit, ils pratiquaient l’agriculture et étaient dotés d’un système de lois. En résumé, une origine louwite des Cymri ne peut être soutenue. Néanmoins, elle reste une piste pour le Pays de l’été.

De notre point de vue, il reste deux hypothèses.

La première ignore l’indice géographique (« Deffrobani ») et l’indice climatique (« Pays de l’été »). Dans ce cas, les Cymri seraient originaires de la mer Noire ou de la mer de Marmara (plus au sud). Cela expliquerait leurs aptitudes à la navigation maritime. Il reste à expliquer leur inaptitude à l’agriculture.

On sait que les Scythes ont submergé les Cimmériens de la mer Noire au VIIe siècle av. J.-C. Cela dit, on ne peut pas exclure que des Cimmériens résidassent également sur les rivages de la mer de Marmara. Du coup, cette population se serait retrouvée en étau entre les Scythes, les Grecs et les Perses. On peut même envisager que les Grecs ou les Perses aient réduit cette population en esclavage car dans ces deux sociétés, l’esclavagisme était une institution. Cela pourrait expliquer l’inaptitude à l’agriculture car lorsqu’on travaille dans des villas pendant des générations, on oublie tout.

Les Grecs ont profité du départ des Cimmériens de la mer Noire pour déployer des colonies sur d’anciens territoires cimmériens même si cela les mettait en contact direct avec les Scythes. Pour déployer ce genre de colonies « champignon », cela prend de la main-d’œuvre et du personnel. Et les Grecs de l’époque n’avaient pas l’habitude de payer pour cela. Enfin, nous irions jusqu’à suggérer que les Scythes avaient fini par prendre le contrôle de certaines colonies grecques et comme ils ne pratiquaient pas l’esclavage, c’est toute une population cimmérienne qui repartait à zéro.

Enfin, on peut parier sur le fait que certains membres du « personnel » des Grecs étaient des navigateurs. Le moyen le plus simple (et le plus sûr) pour transiter entre la Grèce et ses colonies de la mer Noire était de passer par la mer Égée et la mer de Marmara. 

Il reste une seconde hypothèse : les Cymri étaient originaires d’une île, dans l’océan indien ou ailleurs. Sur cette île, l’agriculture n’était pas nécessaire pour nourrir tout le monde. Les gens étaient pacifiques et ne voyaient pas la nécessité d’instaurer un système de lois. Enfin, la météo était exceptionnelle et c’était le Pays de l’éternel été. En résumé, c’est un joli conte de fées.

Dans la tradition galloise, le Pays de l’été est aussi un synonyme de l’au-delà (le Pays des morts). Cela dit, on ne peut pas exclure que les Cymri eussent une origine géographique plus ancienne et plus ensoleillée. Le terme « Deffrobani » est un vrai mystère mais on peut au moins éliminer une étymologie cymrique. À propos d’étymologie, les Grecs désignaient les Cimmériens sous le nom de « Kimmérioi ». La distance syntaxique entre Kimmérioi et Cymri n’est pas si grande…

On terminera par une anecdote. Selon une tradition galloise dont nous n’avons pu retracer le ou les manuscrits, Hu Gadarn était l’élu du « dieu » Diana. Ce dernier est complètement inconnu des historiens. Sachant qu’à cette époque, un héros pouvait devenir un « dieu » à la vitesse de la lumière, cherchons un héros nommé Diana. C’est encore une impasse. Dans ce cas, cherchons une héroïne. On en a trouvé une : une princesse scythe. Tout cela pour dire qu’on n’exclut pas une idylle entre la « déesse » et l’élu (de son cœur). 

À propos des Scythes et des Cimmériens en général, les historiens ont longtemps pensé qu’ils étaient des Slaves (ces derniers forment une famille d’Indoeuropéens). Or, la génétique des populations a montré que les populations indoeuropéennes de l’île de Grande-Bretagne et de l’ouest de l’Europe n’étaient pas slaves. En conséquence, leurs ancêtres scythes et cimmériens ne l’étaient pas non plus.

 

Brittia

Albion pour les Grecs, Prydein pour les Cymri, Brittia pour les Romains, l’île de Grande-Bretagne n’a pas manqué de diminutifs. Entre les premiers Bretons de l’Histoire qui apparaissent dans le Lebor Gabála Érenn irlandais et les peuples britanniques que découvriront les Romains (quelques siècles plus tard), c’est le néant archéologique.

On résume le peu de choses que les historiens savent. Des relations commerciales existaient entre des civilisations méditerranéennes (Carthage, notamment) et des populations du sud de l’île. Elles concernaient principalement le commerce de métaux (or, étain), de chiens de chasse et… d’esclaves. Le site d’Hengistbury Head (comté du Dorset) était un pôle dès le IIIe siècle av. J.-C. Enfin, les Gaulois dits « Vénètes » semblaient jouer un rôle d’intermédiaires. En résumé, autant dire que l’on ne sait rien sur les populations de l’île avant l’arrivée des Romains.

Voici donc les principales populations de l’île au premier siècle apr. J.-C. La source est le géographe grec Ptolémée.

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Pour déchiffrer ce « patchwork », le Lebor Gabála Érenn irlandais va s’avérer bien utile. On peut ajouter que les populations de l’époque avaient pour habitude de se nommer en référence à un ancêtre commun ou à un lieu d’origine. Nous allons aborder les populations dans le sens nord-sud et est-ouest.

Limnu : on peut faire un lien avec les noms scythes Elim, Fedlim et Nua. Skitis : c’est une référence possible à Scota, une ancienne souveraine des Gaëls. Carini : on peut faire un lien avec le « carn » des Gaëls dont la signification est un amas de pierres. Lugi : cela pourrait être une référence au dieu Lug de la mythologie irlandaise. Decantae : « dech » est un préfixe cymrique et le « cant » gallois dérive de « cannoedd » (cent, centaine). Cerones : c’est un synonyme de Carnonacae et une référence supplémentaire au « carn » des Gaëls. Vacomagi : leur site principal s’appelait Bannatia et l’on peut faire un lien avec la région Banna de l’antique Irlande. 

Taexali : on renonce. Venicones : Ben (Ven) Edar est un nom scythe et « cones » peut faire référence à un des cinq royaumes d’Irlande, le Connah. Caledonii : on peut faire le lien avec le gallois « caled » (dur) et « caledi » (dureté). Damnonii : c’est une référence claire à la population scythe des Fir-Domnans. Epidii : leur territoire donnera naissance au royaume de Dál Riata dont l