Entretiens / Interviews / Entrevistas by Marie Lebert - HTML preview

PLEASE NOTE: This is an HTML preview only and some elements such as links or page numbers may be incorrect.
Download the book in PDF, ePub, Kindle for a complete version.

Entretiens / Interviews / Entrevistas

ENTRETIENS / INTERVIEWS / ENTREVISTAS

MARIE LEBERT

NEF, University of Toronto, 2001

Copyright © 2001 Marie Lebert

[EN] What do they do on the Web? What do they think of the Internet, copyright,multilingualism, the future of paper, the e-book, the information society, etc.?Interviews with writers, journalists, publishers, booksellers, librarians,professors, researchers, linguists, etc.

[FR] Quelle est leur activité sur l'internet? Quelle est leur opinion surl'avenir du réseau, l'avenir de l'imprimé, le livre électronique, le droitd'auteur, le multilinguisme, le cyberespace, la société de l'information, etc.?Entretiens avec des bibliothécaires-documentalistes, chercheurs, écrivains,éditeurs, gestionnaires, journalistes, libraires, linguistes, professeurs,traducteurs, etc., francophones et non francophones.

[ES] ¿Cuál es su actividad sobre la Red? ¿Qué piensan del Internet, de losderechos de autor, del multilingüismo, de la sociedad de la información, etc.?Entrevistas con escritores, periodistas, editores, libreros, bibliotecarios,documentalistas, profesores, investigatores, lingüistas, etc.

[FR, EN, ES] NEF: http://www.etudes-francaises.net/entretiens/index.htm TABLE

(*) Traduction partielle / Partly translated / Traducción parcial

[#A] [Nicolas Ancion FR / Alex Andrachmes FR / Guy Antoine EN FR ES* / Silvaine Arabo FR / Arlette Attali FR EN / Isabelle Aveline FR]

[#B] [Jean-Pierre Balpe FR / Emmanuel Barthe FR / Robert Beard EN FR / Michael Behrens EN FR / Michel Benoît FR / Guy Bertrand FR EN* / Olivier Bogros FR /

Christian Boitet FR / Bernard Boudic FR / Bakayoko Bourahima FR / Marie-Aude Bourson FR / Lucie de Boutiny FR / Anne-Cécile Brandenbourger FR / Alain Bron FR

EN ES]

[#C] [Patrice Cailleaud FR / Tyler Chambers EN FR / Pascal Chartier FR / Richard Chotin FR / Alain Clavet FR EN* / Jean-Pierre Cloutier FR EN* ES* / Jacques Coubard FR]

[#D] [Luc Dall'Armellina FR / Kushal Dave EN FR / Cynthia Delisle FR EN* /

Emilie Devriendt FR / Bruno Didier FR EN ES DE / Catherine Domain FR EN* ES* /

Helen Dry EN FR / Bill Dunlap EN FR]

[#F] [Pierre-Noël Favennec FR / Gérard Fourestier FR]

[#G] [Pierre François Gagnon FR / Olivier Gainon FR / Jacques Gauchey FR EN /

Raymond Godefroy FR / Muriel Goiran FR / Marcel Grangier FR EN / Barbara Grimes EN FR]

[#H] [Michael Hart EN FR ES / Roberto Hernández Montoya ES* FR EN / Randy Hobler EN FR / Eduard Hovy EN FR]

[#J] [Christiane Jadelot FR EN / Gérard Jean-François FR / Jean-Paul FR EN* /

Anne-Bénédicte Joly FR]

[#K] [Brian King EN FR / Geoffrey Kingscott EN FR / Steven Krauwer EN FR]

[#L] [Gaëlle Lacaze FR / Hélène Larroche FR / Pierre Le Loarer FR / Fabrice Lhomme FR / Naomi Lipson FR / Philippe Loubière FR]

[#M] [Tim McKenna EN FR / Pierre Magnenat FR / Xavier Malbreil FR / Alain Marchiset FR / Maria Victoria Marinetti ES FR / Michael Martin EN FR / Emmanuel Ménard FR / Yoshi Mikami EN FR / Jacky Minier FR / Jean-Philippe Mouton FR]

[#O] [John Mark Ockerbloom EN FR / Caoimhín P. Ó Donnaíle EN FR]

[#P] [Jacques Pataillot FR EN* ES* / Nicolas Pewny FR / Hervé Ponsot FR /

Olivier Pujol FR]

[#R] [Anissa Rachef FR / Peter Raggett FR EN ES / Patrick Rebollar FR /

Jean-Baptiste Rey FR / Philippe Rivière FR / Blaise Rosnay FR / Jean-Paul Rousset Saint Auguste FR]

[#S] [Bruno de Sa Moreira FR / Pierre Schweitzer FR / Henri Slettenhaar EN FR /

Murray Suid EN FR]

[#T] [June Thompson EN FR / Jacques Trahand FR / Paul Treanor EN FR / Zina Tucsnak FR]

[#V] [François Vadrot FR EN* ES* / Christian Vandendorpe FR]

[#W] [Robert Ware FR EN / Russon Wooldridge FR]

[#Z] [Denis Zwirn FR]

[Index par langue / Index per language / Indice per lengua]

NICOLAS ANCION [FR]

[FR] Nicolas Ancion (Madrid)

#Ecrivain et responsable éditorial de Luc Pire électronique

Lancé en février 2001, Luc Pire électronique est le département d'éditionnumérique des éditions Luc Pire, créées à l'automne 1994 et basées à Bruxelleset à Liège. Le catalogue de Luc Pire électronique, en cours de constitution,comprendra les versions numériques des livres déjà publiés par les éditions LucPire (300 titres au catalogue papier en juin 2001) et de nouveaux titres, soiten version numérique seulement, soit en deux versions, numérique et imprimée.

*Entretien du 24 avril 2001

= Pouvez-vous vous présenter?

Je suis écrivain et, depuis 1997, je tente d'utiliser internet comme outil decommunication et de création.

Depuis l'année 2000, je collabore également audéveloppement électronique des éditions Luc Pire, en tant que responsableéditorial.

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

Ma fonction est d'une double nature: d'une part, imaginer des contenus pourl'édition numérique de demain et, d'autre part, trouver des sources definancement pour les développer.En quoi consiste exactement votre activité liée à l'internet?

En tant qu'auteur, je publie des textes en ligne, soit de manière exclusive(j'ai publié un polar uniquement en ligne et je publie depuis février deuxromans-feuilletons écrits spécialement pour ce support), soit de manièrecomplémentaire (mes textes de poésie sont publiés sur papier et en ligne). Jedialogue avec les lecteurs et les enseignants à travers mon site web.

En tant que responsable éditorial au sein de Luc Pire électronique, je supervisele contenu du site de la maison d'édition et je conçois les prochainesgénérations de textes publiés numériquement (mais pas exclusivement surinternet).

= Comment voyez-vous l'avenir?

Je pense que l'édition numérique n'en est encore qu'à ses balbutiements. Noussommes en pleine phase de recherche. Mais l'essentiel est déjà acquis: denouveaux supports sont en train de voir le jour et cette apparition entraîne uneredéfinition du métier d'éditeur. Auparavant, un éditeur pouvait se contenterd'imprimer des livres et de les distribuer. Même s'il s'en défendait parfois, ilfabriquait avant tout des objets matériels (des livres). Désormais, le rôle del'éditeur consiste à imaginer et mettre en forme des contenus, en collaborationavec des auteurs. Il ne fabrique plus des objets matériels, mais des contenusdématérialisés. Ces contenus sont ensuite "matérialisés" sous différentesformes: livres papier, livres numériques, sites web, bases de données,brochures, CD-Rom, bornes interactives. Le département de

"production" d'unéditeur deviendrait plutôt un département d'"exploitation" des ressources. Lemétier d'éditeur se révèle ainsi beaucoup plus riche et plus large. Il peutamener le livre et son contenu vers de nouveaux lieux, de nouveaux publics.C'est un véritable défi qui demande avant tout de l'imagination et de lasouplesse.

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

Je suis un télétravailleur. J'habite Madrid et les éditions Luc Pire sont àBruxelles et Liège, en Belgique. En huit mois, j'ai reçu deux plis postauxrelatifs à mon travail et je suis resté plus de six mois sans imprimante.

Endehors des contrats, tout se passe sur l'écran. Pour mon travail, c'est donctrès clair, 99% de l'information passe par des fichiers informatiques sansgaspiller de papier.

En tant qu'auteur, je continue à rédiger majoritairement à la main, au stylo surpapier. Je ne tape le texte que dans une seconde étape sur mon ordinateur. Enréalité, même si je publie sur le web depuis 1998, je continue à travaillercomme au 19e siècle pour mon écriture. Tout à la main dans des petits cahiersd'écolier.

Sauf pour mes deux romans-feuilletons, précisément. J'ai décidé dechanger mon mode d'écriture pour ces deux textes et je les écris directement àl'écran, comme ils seront lus, semaine après semaine. C'est un défi, unecontrainte que je me suis posée volontairement. Pour voir si ça change quelquechose et pour répondre en détail à cette question souvent posée aux auteurs:est-ce que vous écrivez à la main ou à la machine?

En tant que lecteur, bien que je lise presque exclusivement les journaux enligne, de même que les critiques littéraires et cinématographiques, je ne peuxpour autant me passer de la littérature imprimée. J'ai toujours de bon vieuxromans jaunis sur ma table de nuit et dans mon sac, où que j'aille. Dans letrain, le métro, je lis.

De laids bouquins de poche, dont le papier ne sent pasbon et dont les couvertures sont écornées, mais qui sont légers, résistants etfourrables dans n'importe quel bagage.

= Les jours du papier sont-ils comptés?

Je crois qu'il est fort imbécile de penser que l'arrivée du numérique va tuer lepapier. Comme si l'arrivée de la radio avait tué la presse écrite, ou latélévision le cinéma. C'est une opinion tellement stupide que beaucoup de gensla partagent. Pour ma part, je crois que l'arrivée du numérique grand publicoffre une panoplie de nouveaux supports pour les contenus. Qu'elle ouvre denombreuses possibilités pour imaginer de nouveaux types de créations et deproduits culturels.

J'aime beaucoup le papier, j'adore les livres: ils m'accompagnent depuistoujours, que ce soient des bandes dessinées, des romans, des dictionnaires. Jepense qu'ils continueront à être présents pendant très longtemps.

Mais qu'àleurs côtés apparaîtront de nouveaux formats. Le roman, tel que nous leconnaissons, correspond très précisément à des contraintes techniquesd'impression et de reliure; si l'on change les supports, on provoquel'apparition de nouvelles formes. La plupart des musiciens ont dû réinventer lacomposition de leurs albums suite à l'arrivée du CD qui ajoute vingt minutes auformat 33 tours. Je me réjouis de lire ce qu'il y aura à lire dans dix ans. Maisj'aurai toujours un Dumas ou un Michaux sur ma table de nuit.

= Quelle est votre opinion sur le livre électronique?

Ces appareils ne me paraissent pas porteurs d'avenir dans le grand public tantqu'ils restent monotâches (ou presque). Un médecin ou un avocat pourront adopterces plate-formes pour remplacer une bibliothèque entière, je suis prêt à lecroire. Mais pour convaincre le grand public de lire sur un écran, il faut quecet écran soit celui du téléphone mobile, du PDA (personal digital assistant) oude la télévision. D'autre part, je crois qu'en cherchant à limiter lesfournisseurs de contenus pour leurs appareils (plusieurs types de e-books nelisent que les fichiers fournis par la bibliothèque du fabricant), lesconstructeurs tuent leur machine.

L'avenir de ces appareils, comme de tous lesautres appareils technologiques, c'est leur ouverture et leur souplesse. S'ilsn'ont qu'une fonction et qu'un seul fournisseur, ils n'intéresseront personne.Par contre, si à l'achat de son téléphone portable, on reçoit une bibliothèquede vingt bouquins gratuits à lire sur le téléphone et la possibilité d'encharger d'autres, alors on risque de convaincre beaucoup de monde. Et de couperl'herbe sous le pied des "serpent", "memory" et autres jeux qu'on joue sansplaisir pour tuer le temps dans les aéroports.

= Quel est votre avis sur les débats relatifs au respect du droit d'auteur surle web?

Je ne vois pas de débat. Le droit d'auteur est un droit, il n'y a pas à revenirlà-dessus. La question intéressante est de savoir comment appliquer ce droitinaliénable à la nouvelle réalité de diffusion des oeuvres.

Mon point de vue est très simple: l'auteur doit être rémunéré pour son travail.Mais il reste maître de son oeuvre et peut aussi décider lui-même de céder sesdroits gratuitement (par exemple pour l'encodage en alphabet braille àdestination des malvoyants) ou de diffuser certains de ses textes gratuitement(ce que je fais sur internet). Je tiens beaucoup au respect du droit depaternité de l'auteur, mais je ne pense pas que tout échange sur cette planètedoive être monnayé. Je suis très heureux d'offrir des textes gratuitement. Maisje ne tolère ni le vol ni la piraterie. Si quelqu'un vole un texte et le diffusesous un autre nom, il commet un délit grave, bien entendu.

= Comment définissez-vous la société de l'information?

Pour moi, la société de l'information est l'arrivée d'un nouveau clivage sur laplanète: distinction entre ceux qui ont accès au savoir, le comprennent etl'utilisent, et ceux qui n'y ont pas accès pour de nombreuses raisons. Il nes'agit cependant pas d'une nouvelle forme de société du tout car le pouvoir del'information n'est lié à aucun pouvoir réel (financier, territorial, etc.).Connaître la vérité ne nourrit personne. Par contre, l'argent permet de trèsfacilement propager des rumeurs ou des mensonges. La société de l'informationest simplement une version avancée (plus rapide, plus dure, plus impitoyable) dela société industrielle. Il y a ceux qui possèdent et jouissent, ceux quisubissent et ceux dont on ne parle jamais: ceux qui comprennent et ne peuventpas changer les choses. Au 19e siècle, certains artistes et certainsintellectuels se retrouvaient dans cette position inconfortable. Grâce à lasociété de l'information, beaucoup de gens ont rejoint cette catégorie assiseentre deux chaises. Qui possède des biens matériels et a peur de les perdre maisconsidère pourtant que les choses ne vont pas dans la bonne direction.

Mon opinion personnelle, par rapport à tout ça, c'est que ce n'est pasl'information qui sauve. C'est la volonté. Pour changer le monde, commençons parlever notre cul de notre chaise et retrousser nos manches.

= Quel est votre meilleur souvenir lié à l'internet?

Plusieurs fois, les réactions de lecteurs, notamment des adolescents quiréagissent très spontanément et s'expriment sans détour, m'ont fait pleurerdevant mon écran. On passe sa vie à écrire des histoires pour donner desémotions aux lecteurs et voilà que ce sont eux qui nous en renvoient de plusfortes! Je n'ai jamais eu cet effet-là qu'avec des messages électroniques. Enface à face ou par courrier postal, l'émotion est bridée par les formules depolitesse et les circonlocutions en tous genres.

= Et votre pire souvenir?

A une époque où j'étais entre deux déménagements, que je n'avais plus ni adressefixe ni téléphone, je me connectais dans les bibliothèques. J'avais participé àun concours sur internet pour être reporter radio pendant deux jours et gagnerun téléphone portable, ce qui m'aurait été bien utile. J'avais laissé lescoordonnées de mes parents. J'ai gagné, on a téléphoné pour me prévenir mais mamère a mal compris le message et n'a pas jugé bon de me mettre au courant. Quandj'ai finalement appris ce qui était arrivé, il était trop tard. Internet vavite, les possibilités sont fantastiques, mais il faut aussi que le reste de laplanète suive le mouvement, sinon on fabrique du vent. C'est une bonne morale.

ALEX ANDRACHMES [FR]

[FR] Alex Andrachmes (Europe)

#Producteur audiovisuel, écrivain et explorateur d'hypertexte

L'auteur a choisi de participer à ces entretiens sous le pseudonyme d'@

Andrachmes (Alex Andrachmes).

*Entretien du 16 décembre 2000

= Pouvez-vous vous présenter?

La bio classique, un peu promotionnelle, rien de tel: né en 1959, ma découvertedu monde de la musique en 1980 passe par des productions audiovisuellesunderground, cold wave, new wave, ou world music… Sans sombrer, ni traînerdans les pubs, c'est au cinéma que je consacre ensuite mon énergie, dans uneofficine de coproduction soutenant des projets alternatifs qui rencontrentpourtant un retentissement mondial, primés à Cannes, à Venise, aux Césars,nommés aux Oscars… C'est au sein d'une télévision périphérique francophone,diffusée en hertzien, par câble et satellite, que je renoue avec le monde de lamusique, en créant des structures qui permettent encore aujourd'hui de capterdes concerts live pour diverses chaînes, des plus connus des artistes, aux pluspointus. Je propose aussi la mise en place de magazines en tout genre,information en prime-time, sciences, modes de vie, nature sauvage, entretienslittéraires, ou cybers…

Pratiquement tout ce qui ne se fait plus ailleursparce que l'audience ne suivrait pas, je le défends. Et parfois ça marche,d'autres fois… Et on me consulte de toute l'Europe, conseil en scénario, enproduction, productions exécutives… Ce n'est pas pour autant que je négligel'écriture: pièces de théâtre, créations collectives, co-scénarisation, romanset nouvelles, je me suis essayé à de nombreuses formes, depuis 1977.

= Avez-vous un site web?

De site personnel, point. Mais j'anime www.superfever.com, site d'un personnagede fiction, Sadie Nassau, producteur au sein d'une société de divertissements(STARTOP) produisant pour diverses chaînes francophones périphériques, pour lenet, et pour la convergence entre les deux, domaine que je connais bien, commevous vous en doutez… Nostalgie? En tant qu'auteur, @Andrachmes pourrait avoirun parcours parallèle à celui de son personnage. Pourrait, car il est plutôt àl'opposé. Voyez à cet égard la bio reprise sur le site superfever.com.Personnage de fiction, donc, que j'anime au sein d'une expérience toute neuve:www.thewebsoap.net. Lancé à titre expérimental le 22 septembre 2000, il estofficiellement en ligne depuis le 17 novembre 2000.

= En quoi consiste exactement votre activité professionnelle?

Elle me semble assez bien décrite dans ma bio… Comme j'écris sous unpseudonyme d'auteur, ça dépersonnalise un peu. Curieuse sensation… Ceci dit,je pourrais vous parler des nombreux sites web des émissions dont je m'occupe,mais ce serait me dévoiler un peu trop.

= En quoi consiste exactement votre activité liée à l'internet?

L'écriture. L'écriture de mail, même, principalement des mails fictifs….Puisque le websoap a comme particularité d'utiliser exclusivement les moyens duweb pour raconter les récits, il se donne comme objectif de mettre en place. Ledéfi que lance à ses auteurs notre réalisateur/intégrateur Olivier Lefèvre estde taille.

En effet, habituellement, l'écriture, qu'elle soit de roman, descénario ou de théâtre, implique des descriptions, des indications de mise enscène (ou des didascalies pour le théâtre). Ici, rien de tout ça. Tout doit sedire sous forme d'adresse à un autre personnage. Il faut ensuite rebondir sur laou les réponses, et s'arranger pour que le nécessaire soit dit. De plus,logiquement, une adresse à un tiers est le plus souvent succinte, pleine deréférence et de sous-entendus, entre le ton parlé, un ton un peu littéraire, unton un peu dépersonnalisé par rapport à la parole, mais proche quand même de soninterlocuteur. On est plus proche du roman "épistolaire" du 19e (siècle, pasl'arrondissement qui n'a rien à voir), que d'une continuité dialoguée… Donc,exercice difficile pour tout "tchatcheur", être court, mais tout dire, tout enrestant léger…

Heureusement, de temps à autre nous sommes aidés par un conceptqui nous vient droit du jeu de rôle (d'autres auteurs du websoap nous viennentde ce secteur): le PNJ, le personnage non joué. Des adresses à ce personnage,proche du second rôle d'une fiction classique, mais non joué par un des"joueurs-auteurs", permet de préparer LE mail décisif à un autre personnageprincipal, en mettant en place la situation.

Attention tout de même: il fautrester dans la cohérence du récit et assurer stabilité et visibilité! En fait,un peu comme dans la dramaturgie cinématographique ou théâtrale, où l'importancedu hors champ n'est plus à inventer, le sens saute d'un mail à l'autre. Plusclairement, un mail qui a un sens très positif en tant que tel, peut en prendreun tout autre, lorsqu'il est complété par une information distillée par un autremail. Dans cette nouvelle forme d'écriture, tout s'invente en temps réel. Etc'est ce qui est passionnant…

= Les possibilités offertes par l'hypertexte ont-elles changé votre moded'écriture?

On le voit, les possibilités de l'écriture spécifiques à l'internet sontmultiples (si pas infinies, on est en tout cas loin d'en avoir fait le tour).L'hypertexte en est une, bien entendu. En effet, j'ai jusqu'ici beaucoup parlédu mail. Si des renvois référentiels sont souvent fait d'un mail à l'autre, ilsne sont renforcés d'un véritable lien que quand le sens du récit l'impose, cen'est pas la principale utilisation ici de l'hypertexte. Je ne vous ai pasencore parlé de l'écriture spécifique du site web des personnages. Là aussi, uneidée originale très intéressante de notre réalisateur/intégrateur, c'est decaractériser le personnage par son site web. Car qu'y a-t-il de commun, vous leverrez si vous explorez la galaxie des sites du websoap, entre le site de Mona(le soleil de la galaxie!), celui de Sadie Nassau (le trou noir, sans doute, decette galaxie, qui entraîne dans sa chute tout les autres…) et, à l'autreextrême, celui d'Antonin, l'observateur patenté de cette galaxie.

Pour ne parlerque de celui de mon personnage, le site se veut clinquant, vendeur, imitant(jusqu'à la perfection?) ce qui se fait de pire dans le secteur du"webtertainment", terme nouveau que je viens d'inventer. Pour cela, pas besoinde chercher beaucoup, toutes les sociétés d'entertainment, des plus grosseschaînes TV commerciales au plus petite start-up (STARTOP?), cherchent de nosjours à décrocher le jackpot en attirant les "hits" de "prospects"… Je me suisinspiré (!) au passage de tout ce qui fait la trash TV

de nos jours, la télévoyeuse où on enferme des quidams dans un lieu clos pour étudier leursréactions, concepts européens qui cartonnent dans le monde entier. Pas si loind'ailleurs de l'entomologie du site

"Insectalia" animé par Mona Bliss, un despersonnages principaux du websoap. Pour la petite histoire, dans le nord del'Europe, les sites de ces émissions de trash TV changent complètement la donneen matière de web, en faisant exploser le nombre de connexions, sur les réseauxqui les accueillent (jusqu'à 700.000 pour le site big brother en Belgique…).Pour revenir à l'hypertexte, dans de nombreux mails, je (le personnage) renvoieà mon (son) site. Au fur et à mesure de la mise en ligne des éléments, SadieNassau annonce triomphalement ses succès par mail, avec un lien vers la pageconcernée du site… Mais lorsque la mécanique s'enraye, les renvois vers cesite (effectués automatiquement par le serveur de sa société STARTOP) prennentun tout autre sens. Et lorsque d'autres personnages découvrent la vérité cachéedu personnage de Sadie Nassau, et le lui signalent, ou préviennent d'autrespersonnages de ne pas frayer avec lui, là aussi, les liens prennent encore unautre sens… Inutile de vous préciser que je joue le rôle du mauvais…

= Comment voyez-vous l'avenir?

Comme vous avez pu le lire, je m'y intéresse de très près, puisque toutes lesactivités que développe mon personnage ne parlent que de ça. L'ensemble duwebsoap s'apparente d'ailleurs à une mise en abîme des tendances qui traversentle net de nos jours. Le déchirent même. Alors l'avenir… Quand on observe, etmême qu'on joue, des personnages qui représentent des tendances à la manièred'un soap, connaître le vainqueur à l'avance n'est pas simple. Selon lepersonnage que j'anime, la réponse est différente. Et il y a des pièges. Dont leprincipal me semble être celui-ci: si, à force de travail, c'est mon personnageprincipal qui plaît au public, et non ses opposants, la réponse à votre questionpourrait être inquiétante… Je préférerais vous en donner une autre, celle queje développe dans une autre oeuvre, Neiges d'anges (incluse dans Les yeux dulabyrinthe). J'y raconte le réseau projeté dans une vingtaine d'années, auxmains de personnages comme ce Sadie Nassau qui tiennent le haut du pavé. Et sousces pavés, quelle plage? C'est toute la question.

= Utilisez-vous encore beaucoup de documents papier?

Oui, c'est un des questionnements de l'équipe du websoap. A l'heure actuelle, ilsemble que l'internet soit encore considéré majoritairement comme un outil detravail, ou au mieux, comme un outil de consultation de documentation, d'infosen ligne, ou de services (réservations, prix, achats en ligne). Pas encore deloisir proprement dit, à part pour une minorité d'addicts de jeux, de free TV,de téléchargements musicaux ou de

… sexe virtuel… La principale raison à cetétat de fait est technique. La majorité des équipements se trouve dans lesbureaux, et les connexions permanentes (câble, ADSL…) sont loin d'êtremajoritaires. Ce détour pour constater que le meilleur outil de lecture reste lelivre, qu'on peut emporter n'importe où. Dans ma pratique professionnelle, etcelle de la plupart de mes correspondants dans les médias, toute la création dedocuments (projets, scénarios, contrats, devis…) passe par l'ordinateur, lestextes circulent par e-mail et attachements, mais leur lecture et/ou analysepasse par les tirages papier. Rares sont ceux qui échangent directement lesinfos sans ce passage obligé. Il faut une tournure d'esprit particulière pourarriver à envisager globalement un document, l'analyser, le corriger, sansl'imprimer. Par mon activité web, je m'y exerce, et ce n'est au fond pasdésagréable du tout.

= Les jours du papier sont-ils comptés?